Ce film est comme un tableau abstrait : le narratif s’efface derrière les couleurs, les personnages, la musique, la dope, l’ambiance, …
Si le narratif n’est pas fondamental, on y apprend quand même quelque chose d’essentiel sur LA et sur l’Amérique en général : fin des années 60, le gouvernement désinvestit dans les hôpitaux (pour, USA oblige, laisser aux mains privées le soin de gérer la santé). Les hôpitaux ferment et des cliniques privées voient le jour. Les cartels de la drogue commencent à ouvrir des cliniques de detox. Ils s’assureront ainsi un va et vient incessant entre les nouveaux drogués, choisis surtout parmi les gens fortunés, et leurs magnifiques centres de detox.
A l’image des prisons américaines privatisées, qui ont incarcéré des dizaines de milliers de personnes (souvent de race noire et pauvre), sans aucune raison hormis celle d’avoir sur elles de quoi se rouler un pétard (cfr le reportage bouleversant « Le 13eme » sur Netflix. Et que dire de la privatisation de l'armée (cfr la société Académique (ex Blackwater) qui permet par exemple à Coca Cola de « nettoyer » une zone de forêt de ses indigènes en louant des militaires à cette agence d’interim.
Il me semble que la trame narrative, souvent décriée, débouche sur une question beaucoup plus fondamentale que celle de films qui font tout un foin autour d’elle.
Mais l’intérêt du film est ailleurs. Évidemment.
Le film, c’est d’abord une violence qui ne fait jamais mal. Tout baigne dans une douceur, dans la brume des joints fumés par le personnage principal.
Le film, c’est parfois rencontrer l’incapacité à dire (par exemple le flic à la fin du film qui défonce la porte de Doc pour la nième fois et ne trouve rien d’autre à faire que de vider à la verticale un plat de nourriture tout entier dans sa bouche ; farfelu mais tellement essentiel. Il a tout dit. Il faut voir la tête de Doc qui l’observe. Sublime ! Mélange de stupéfaction, d’interrogation, d’empathie, d’Humanité, de tendresse, et ce n’est pas tout, d’un fumeur de joints envers un policier zélé qui se brûle les ailes à force de rester collé au réel. IMMENSE !)
Le film ce sont des raccourcis intelligents, d’une acuité d’esprit quasi jamais égalée (par exemple la scène des retrouvailles en Doc et son ex à la fin du film ; 10 minutes de pure jouissance ; ce qui est révélé représente des années de développement. Et au terme de cette scène, ces années se résument en 1 min cathartique. Toute l’âme du monde en 1 minute ! Probablement une des plus belles scènes de l’histoire du cinéma !
N’en déplaise à beaucoup, c’est déjà extraordinaire pour un film.
Et puis, et puis, voilà un film (merci à mon ami Marc) qui a été touché par la grâce de la première minute à la dernière.
Et là se trouve le vrai miracle. Fraîcheur partout. Un délice à revoir au moins 3 fois. Petit parallèle avec Amélie Poulain.
En un mot, à mon avis, un chef d’œuvre !
(pour ceux qui peuvent encore repérer la grâce)
es esdur