"Gone baby gone", "The Town"... Il y a une dizaine d'années, alors qu'on le croyait définitivement bon pour les limbes de l'enfer hollywoodien à cause de choix de carrière suicidaires (repenser à "Gigli" avec sa compagne de l'époque Jennifer Lopez donne encore aujourd'hui des sueurs froides), Ben Affleck a miraculeusement ressuscité en passant derrière la caméra. Devenant une sorte de néo-Clint Eastwood grâce à des longs-métrages au classicisme assumé mais à l'écriture et au traitement toujours percutants et efficaces, il passa même un cap supplémentaire avec "Argo" qui lui permit de rafler trois Oscar ainsi qu'un repect indéniable et une reconnaissance auprès de ses pairs. L'avenir s'annonçait donc des plus radieux, hélas, la machine a commencé à sérieusement se gripper ces derniers temps avec des déceptions dans ses choix devant la caméra.
"Batman vs Superman", "Mr Wolff",... Non pas que les prestations de Ben Affleck y soient décevantes (au contraire même) mais ces films se sont révélés plus que bancals voire décevants et ont un peu terni le retour en grâce de l'acteur.
Alors quoi de mieux pour se remettre en selle que de repasser à nouveau à la réalisation avec une valeur sûre, l'adaptation d'un roman de Dennis Lehane (déjà auteur de "Gone, baby, gone" ainsi que de "Mystic River" et de "Shutter Island")?
Après une combinaison de malheurs à peine surchargée (braquage qui tourne mal/vengeance mafieuse/trahison sentimentale/tabassage policier/perte d'un être cher/prison), Joe Coughlin est obligé de partir s'installer sous le soleil de Floride afin d'y monter un vaste trafic de rhum en pleine Prohibition pour le compte d'un parrain italien. Lui qui s'est toujours refusé à se qualifier de gangster va devoir se salir les mains plus que de raison pour garder le contrôle de son affaire face à des menaces de plus en plus envahissantes...
En terme de réalisation, Ben Affleck se montre toujours aussi convaincant : tout en s'incrivant dans la droite lignée des grands classiques du film noir, il crée un intéressant contraste (et plutôt original) entre cette ambiance aussi sombre qu'archétypale du film de gangsters et le climat particulier de la Floride de l'époque (sa mixité sociale, ses décors naturels, sa pauvreté et le développement souterrain qui en découle, etc). De plus, il livre quelques scènes de fusillades et de poursuites plutôt marquantes (la fuite en voiture au début, waouh !) qui n'ont rien à envier à des grands noms du genre.
D'un point de vue strictement visuel, il n'y a donc pas grand chose à reprocher à "Live By Night", non, le problème vient de ce que film veut nous raconter et surtout de la manière qu'il a de le faire.
Une fois le héros en pleine ascension dans le le milieu criminel de la Floride, le film va partir dans une construction des plus bizarres. Il va en quelque sorte se découper en mini-segments de qualité variable comme pour grossièrement prendre la forme de mini-épreuves dans la construction du personnage principal vers une confrontation finale que l'on sait par avance inéluctable.
Il y a tout d'abord cette romance terriblement clichée avec Zoe Saldana, énorme point faible du long-métrage par son inconsistance et son impossibilité à véritablement s'incarner à l'écran faute d'une réelle alchimie. Les échanges entre les deux personnages seront la source des longueurs les plus marquantes de "Live By Night" et la finalité de leur relation dans les dernières minutes ne nous rendra qu'encore plus perplexe sur le but de toutes les scènes les mettant en avant.
Viennent ensuite les obstacles que le gangster va affronter bizarrement un par un dans le déroulement du récit pour prendre le contrôle du territoire.
Si la partie contre le Ku Klux Klan personnifié par un adversaire aussi stupide que déterminé n'est pas la partie la plus inintéressante, elle brille néanmoins par son classicisme et sa résolution aussi meurtrière soit-elle semble un poil rapidement expédié vu l'aspect tentaculaire de l'organisation dans le contexte de l'époque.
Le meilleur moment du film viendra étonnamment de l'opposition incarnée par le personnage d'Elle Fanning. Sans trop en dévoiler, la jeune comédienne va réussir à donner vie à une opposante au parcours tellement incroyable... et bien que le personnage en est justement incroyable par sa nature. Comme pour la lutte contre le KKK, l'affrontement se terminera de manière bien trop abrupte pour réellement convaincre mais la scène de confrontation qu'elle aura avec le gangster (la conversation dans le café) sera incontestablement le moment le plus superbement fort et interprété de "Live By Night".
Après ça, les événements qui suivront jusqu'à la conclusion seront vus comme désespérément logiques pour amener le héros jusqu'à la fin de sa quête de vengeance (qu'il avait lui-même un peu oublié en cours de route mais que le spectateur savait inévitable). Si l'on excepte une scène magistrale de fusillade, la difficulté qu'aura Ben Affleck à conclure de manière définitive son récit en réglant le sort de personnages satellites (les dernières scènes sont interminables ou bâclées dans leur exécution) traduira bien ce sentiment d'impossibilité de donner véritablement un corps global convaincant à la destinée du parcours de son gangster.
Malgré des atouts de réalisation qu'on ne peut lui ôter, "Live By Night" ne parvient qu'à fonctionner que par intermittence, la faute à une drôle de construction narrative souvent bancale qui n'a de cesse d'alterner le meilleur et le plus faible. Tout en ne deméritant pas, Ben Affleck signe donc son oeuvre la moins réussie de sa filmographie de réalisateur.
Nos yeux se tournent alors vers la prochaine et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit du très attendu "Batman" qui devrait marquer un nouveau tournant dans sa carrière... selon sa réussite.