Enfant de la balle de la télévision américaine où il débuta à l'âge de onze ans (1991) dans le "Mickey House Club", Ryan Gosling a depuis fait son chemin à Hollywood. Dans un relatif anonymat tout d'abord avant de rencontrer Derek Cianfrance qui en 2010 lui offre le premier rôle dans "Blue Valentine", variation sentimentale sur le rêve impossible de retrouver l'amour perdu. Le succès du film donne un éclairage nouveau à l'acteur qui se trouve propulsé brutalement sex-symbol. Un an plus tard, "Drive" de Nicolas Winding Refn amplifie le phénomène en train de naître tout en donnant une aura intellectuelle à la carrière de l'acteur devenue star mondiale. La fréquentation de ces deux réalisateurs à l'univers très personnel marque durablement Gosling qui finit pas se prendre au jeu de la mise en scène. C'est donc comme ses deux mentors qu'il rédigera lui-même le scénario de son film, influencé par leur univers respectifs mais aussi par celui de David Lynch. Les américains ont été traumatisés par l'engloutissement de la ville de Detroit autrefois temple de l'automobile, dans de trou béant creusé par la décadence du capitalisme triomphant des années 40 à 70 popularisé par une industrie florissante servant de tremplin à la promotion du fameux "american way of life". Gosling qui en raison de son âge n'a connu cette période que par ouï dire a pu assister impuissant en 2009, alors qu'il était en passe d'entamer sa propre ascension, à la désertification de la ville devenue une sorte de Tchernobyl sans l'atome où des quartiers entiers se sont peu à peu laissés reconquérir par une nature revancharde que le mode de vie occidental n'avait jamais épargnée. L'aspect fantomatique d'une architecture en décomposition n'incite guère à l'optimisme mais s'avère fortement propice à l'onirisme. Jim Jarmusch qui a investi la ville pour "Only lovers left alive" (2013) y a trouvé l'inspiration pour une revisite inspirée du mythe du vampire. Idem pour le québécois David Robert Mitchell qui avec son film surprenant, "It follows", revitalise (sans jeu de mots) celui du mort-vivant. Un peu moins novateur et plus référentiel ce premier film en qualité de réalisateur, il ne faut pas l'oublier, est tout à fait honorable et surtout sincère. La démarche de Gosling est essentiellement visuelle qui utilise la palette aux tons chamarrés du chef opérateur belge Benoît Debie ("Irreversible" et "Enter the Void" de Gaspard Noé, "Calvaire" et "Vinyan" de Fabrice du Weltz, "Spring Breakers" d'Harmony Konine) pour nous faire appréhender la fusion qui s'opère entre béton et nature pour faire éclore une sorte de nouveau monde primitif symbolisé par la route qui sortant de Lost River, la cité fictive inspirée de Détroit, s'enfonce dans un lac artificiel d'où immergent des lampadaires dont la présence symbolique fait penser au long cou des brachiosaures qui ont disparu faute de pouvoir s'adapter. Cette route qui mène à l'ancienne ville engloutie sur laquelle s'est bâtie Lost River nous rappelle que le capitalisme insatiable se nourrit de ses propres morts qui se superposent en couches successives comme autrefois les couches géologiques mais à une fréquence beaucoup plus élevée où les dizaines d'années remplacent les milliers de siècles. De cette course folle mortifère, Gosling tire une sorte de conte où le merveilleux côtoie le macabre. Dans ce chaos, une famille, d'où le père a disparu, tente de survire et de s'accrocher à ses racines. Le fils aîné (Ian de Caestecker) tente de chaparder du cuivre au risque de sa vie pendant que la mère (Christina Hendricks) victime d'un banquier peu scrupuleux (Ben Mendelsohn) se produit dans un cabaret où des numéros macabres donnent le frisson à ce qui reste d'une société bourgeoise toujours avide de s'encanailler à bon compte. La cellule familiale même amputée reste encore comme aux temps rudes de la conquête de l'Ouest ou de la crise de 1929, le dernier refuge à partir duquel la société américaine se régénère. Ryan Gosling qui conclut son film dans un taxi qui mène vers un ailleurs incertain mais aussi prometteur grâce à la présence masculine adulte retrouvée (Reda Kateb) ne semble pas vouloir se distinguer complètement des valeurs de ses aînés. Preuve que le jeune réalisateur n'est pas complètement désabusé. Avec ses partis pris esthétiques souvent contrastés, ses références cinématographiques assumées comme la présence de Barbara Steele égérie de la Hammer des années 1960 ou encore sa part d'improvisation, "Lost River" conjugue maladresses d'un premier film et sincérité d'un réalisateur qui doit encore trouver sa voie. L'ensemble est tout de même bougrement intéressant et rappelle par l'ambiance qu'il distille, "Twixt" (2012) d'un Francis Ford Coppola certes beaucoup plus expérimenté mais qui après une semi retraite passée à cultiver ses vignes, cherchait grâce à l'économie de moyens procurée pas le numérique à s'abreuver à la source de jouvence.