Ryan Gosling, comédien que l’on ne présente plus, passe de l’autre côté de la caméra, avec son Lost River, en s’affichant comme le disciple par excellence d’une conjugaison entre Refn et Noé. En effet, ne cherchant jamais la linéarité, le prédéfini, la logique, le cinéaste herbe, on peine à le croire en certaines occasions, livre un film trouble et troublant, un morceau de bravoure artistique qui ne satisfera pas tout le monde mais qui pose peut-être les bases de ce que sera son cinéma à l’avenir. A l’image des méthodes de ses mentors, Gosling appuie là où ça fait mal, ne réfrénant jamais une certaine pulsion pour la violence, la tristesse et plus particulièrement ici, la mélancolie. L’élève a clairement appris les leçons qui lui ont été prodiguées et ne se cache pas de le démontrer. Dans un univers particulièrement dépressif, Ryan Gosling, il faut le préciser également scénariste du projet, mêle réalité sociale, thriller, contes fantastiques et films d’auteurs, un mélange instable qu’il parvient globalement très bien à maîtriser.
Sur la base d’une triste réalité économique, celle frappant, Sub-primes en renforts, l’Amérique post-industrielle, le metteur en scène et scénariste imagine un monde dépourvu de tout espoir, un sinistre portrait d’une région sur le déclin ou les nantis profitent de la misère d’autrui pour assouvir leurs vices. Dans ce cadre prédéfinis mais pourtant mystérieux, évolue une jeunesse qui croit encore aux miracles, qui se tournent vers les superstitions pour trouver l’échappatoire. Alors que l’adulte dépérit, la mère de famille en question cède à la perversion de ceux qui en ont les moyens, la jeunesse, bien seule, tente de s’offrir un avenir meilleur en sondant l’univers fantastiques prétendument engloutit près de chez eux. Comment conjuguer ces deux visions divergentes, sociale et fantasque, sans sombrer dans le superflu, le grand n’importe quoi? Gosling ayant compris l’impossibilité de la tâche, s’efforce de masquer la logique avec une mise en scène lyrique, fantasmagorique, mystérieuse et pointue, se cachant derrières de talents artistiques indéniables.
Appuyées par une bande-son envoutante et attristante de toute beauté, les images somptueuses livrées sont presque toutes mélancoliques ou hypnotiques, illuminées à la manière de justement les mentors de l’acteur et réalisateur. Par ailleurs, le casting, impeccable de pudeur, de justesse, tend à renforcer le naturel voulu par le réalisateur, lorgnant techniquement, parfois, vers le strict documentaire pour ce qui est de ses prises de vues. Ryan Gosling voulant un univers sombre, inquiétant mais aussi envoutant, lyrique, à quelques reprises même romantique, il sera parvenu à livrer un produit finit indéfinissable mais parfaitement maîtrisé. Notons au passage que les visages sont des paysages pour Gosling, que l’environnement est un acteur, que la lumière est vivante et que la violence est l’essence de son travail, qu’elle soit montrée ou suggérée.
En définitive, Lost River s’affiche comme une fiction captivante, non pas dans le sens commun du terme, mais de par un lyrisme à l’épreuve du feu, une mélancolie contagieuse et un mystère permanent qui pousse le public à s’interroger, à se faire sa propre opinion sur les tenants et aboutissants de l’œuvre qui leur est soumise. S’agissant d’une première réalisation, difficile de critiquer les potentielles faiblesses de son metteur en scène tant celui-ci semble s’être approché au plus près du produit final voulu. Le film ne s’adresse qu’à une poignée d’entre nous, certes, mais lorsque qu’il atteint sa cible, il s’agit d’une simple et belle réussite. Je me réjouis donc de retrouver le bonhomme, à l’écran comme derrière la caméra, pour sa prochaine incursion au cinéma. 15/20