Le cinéaste danois, Thomas Vinterberg, prestigieux artisan du cinéma scandinave, s’attaque ici à un mastodonte de la littérature victorienne, Loin de la foule déchaînée, de Thomas Hardy. Dans l’Angleterre justement victorienne, une jeune femme indépendante, débrouillarde, un cœur à prendre, hérite d’une ferme imposante mais surtout de trois courtisans plutôt décidés à remporter les faveurs de madame. Le premier est un berger, honnête paysan à l’humilité débordante, Matthias Schoenaerts. Le second est un propriétaire terrien généreux, Michael Sheen, et le troisième un soldat orgueilleux aux charmes virils. Lequel Batsheba Everdene, Carey Mulligan, va-t-elle choisir? Voilà donc tout l’enjeu d’un long métrage d’un autre temps, d’un classicisme typiquement britannique, un film romantique habillé d’une photographique somptueuse.
A n’en pas douter, Thomas Vinterberg a pris sa fonction de directeur à bras le corps, s’appuyant sur un casting à la solidité éprouvée, dont le pilier central est incontestablement l’acteur belge le plus en vue de moment, du fait d’un talent rare. En effet, Matthias Schoenaerts trouve une nouvelle fois matière à surpasser ses collègues, endossant le rôle de l’élément clef, du moteur sentimental et émotionnel de l’œuvre, bien loin devant les deux autres prétendants, bien plus charismatique que la belle dont il tente de conquérir le cœur. La demoiselle, incarnation malingre de la jeune femme libérée, s’appuie bien trop souvent sur la caricature pour développer ses humeurs et émotions. Non pas que Carey Mulligan ne soit pas bonne comédienne, pour l’occasion, mais son personnage ne parvient pas à provoquer suffisamment d’attachement pour que cette confrontation amoureuse prenne les proportions voulues.
Autre point fort du film de Vinterberg, la photographique. En effet, illustrant avec talent des beautés de la nature britannique, des vastes collines champêtres, soleil levant ou couchant en renfort, le cinéaste danois livre une très belle vitrine d’images, une somptueuse démonstration technique qui relève considérablement le niveau général de l’œuvre. Plutôt timorée sur le plan narratif, les coupes temporelles étant parfois douteuses, cette histoire d’amour plutôt outrancière ne parvient pas à convaincre le public contemporain. Par outrage à toute logique sentimentale d’aujourd’hui, le scénario ne parvient pas à rendre un tant soit peu crédibles ces va-et-vient entre amants et époux, ces rebondissements amoureux improbables, quand bien même les belles paroles de certains tendent à donner du sens à cette fable d’antan.
N’étant pas concrètement un échec, loin de là, Loin de la foule déchaînée n’en reste pas moins un film bien inférieur aux références de Thomas Vinterberg, je pense notamment à son récent et prodigieux La chasse. Sauvé par une partie de ses comédiens et une photographie délicate, le film n’en reste pas moins une œuvre passablement désuète. Les cinéastes de notre temps pourront continuer incessamment d’adapter des œuvres de Thomas Hardy pour le même résultat. Seule une vision plus moderniste des écrits du romancier britannique permettrait de sauver l’entreprise. 09/20