Etrange pérégrination cinématographique que ce film aux multiples dimensions de lecture et aux forces émotionnelles contradictoires. Ce qui apparaît en toile de fond est cette fable urbaine (l’enfant poète prodige) qui repose en fait sur un élément autobiographique du réalisateur (il fut l’enfant en question et donc l’auteur de « Hagar »). En filigrane, il s’agit également de dénoncer sous un anecdotique récit, la société israélienne aux accents très empruntés de mondialisation. Face à cette société féroce et belliqueuse, s’oppose Nira, institutrice au vécu inconnu mais visiblement exemplaire dans le schéma trilogique classique dont les valeurs reposent sur la famille, la nation et une certaine forme de solidarité. Enfin, la poésie s’inscrit dans le débat, non seulement au niveau du phénomène de foire qu’est l’enfant poète, mais bien comme le symbole d’un mode de fonctionnement sociétal humain qui s’estompe et s’efface peu à peu des mémoires au profit de l’individualisme et de la course aux pouvoirs (qu’il soit entre ethnies, à titre personnel ou dans le rapport à l’autre). En deux heures Nadav Lapid structure ces éléments en une œuvre cohérente redoutablement intelligente et particulièrement perverse. Ce film étonnant raconte la vie sur un mode fictionnel et le réalisateur l’a façonné de toutes pièces sous l’apparence d’un réalisme intégral (choix de plans très étudiés, présence physique de la caméra dans le film…) où le spectateur sait s’immerger. On le ressent constamment, le fond comme la forme sont extrêmement élaborés. Le réalisateur s’insurge, à la limite de la provocation (chants guerriers des enfants entre autre) et cherche à faire réagir le spectateur (pistes du récit souvent brouillées) qui est ici, de fait, éloigné de toute passivité. Et finalement, le moteur de cette histoire, s’avère être Nira autour de laquelle se développe cet univers bouillonnant, à la limite explosif. Elle représente à elle seule la survivance d’un monde qui, en Israël comme ailleurs, disparaît irrémédiablement, un monde moins matérialiste, un peu plus onirique, où l’on prend le temps de se poser. Elle se fait résistante, mais est totalement désarmée. « L’institutrice » est un chant du cygne dont les mots douceur et espoir se dissolvent dans la vaste immensité de l’indifférence générale.