Pourquoi Clint Eastwood, à l’âge canonique qui est le sien, tourne-t-il encore des films à cette cadence, s’emparant parfois d’un sujet d’actualité, exhumant à d’autres moments des presque inconnus, disparus de la mémoire collective avant que que le cinéma ne dresse un autel à leur gloire ? Sans doute parce que l’Amérique va mal et trahit ses idéaux : Eastwood a besoin de savoir, et besoin de prouver, que cette Amérique en déliquescence n’est rien d’autre que celle d’un mode de gouvernement, forcément corrompu, qui se donne en spectacle, que l’Amérique, la vraie, existe toujours, à travers les gens qui la peuplent. Richard Jewell, vigile devenu brièvement célèbre durant les J.O. d’Atlanta de 1996 pour avoir déjoué un attentat à la bombe et empêché que ce dernier fasse des dizaines de victimes. Immédiatement célébré par les médias pour son sang-froid et son respect des procédures de sécurité, Jewell se retrouva en quelques jours dans le collimateur du FBI, qui avait déterminé que son profil, celui d’un homme blanc socialement invisible, frustré par son incapacité à intégrer les services de police et collectionneur d’armes, faisait de lui le plus probable cerveau de l’attentat. Ce sont ces 88 jours de cauchemar vécus par un homme très moyen, célébré médiatiquement comme un héros alors qu’il prétendait n’avoir modestement fait que son travail, puis cloué au pilori par ces mêmes médias et prisonnier d’enjeux qui le dépassent, qui intéressent Eastwood : ce type ordinaire, moqué toute sa vie pour son physique et son rapport rigide aux règles, ne va ni s’effondrer ni se mettre en colère, il va faire le dos rond en attendant que l’orage passe, défendre placidement son innocence, sans réellement parvenir à s’estimer trahi et persécuté par un pouvoir policier pour qui il n’éprouvait que de la vénération. Dans son inlassable quête des héros du quotidien, Eastwood, tenant d’un libertarisme personnel bâti sur la droiture et le mérite individuel, dernier représentant du néo-classicisme américain, est d’une prévisibilité à toute épreuve. On peut ne pas être d’accord avec sa vision des choses mais il est difficile de lui reprocher de ne pas agir et filmer conformément avec ses convictions, en fait plutôt éloignées de celle du parti républicain d’aujourd’hui.