Comme ce fut le cas en 2014 avec « Mange tes morts », le Prix Jean Vigo 2015 vient à nouveau récompenser un film aussi audacieux que courageux, « Le peur »
Audacieux parce qu’il faut l’être vraiment pour se hisser en bonne place dans une filmographie sur le conflit 14/18 qui semble avoir traité les aspects essentiels. De Kubrick (« Les sentiers de la gloire ») à Renoir (« La grande illusion ») en passant par Tavernier (« Capitaine Conan », « La vie et rien d’autre ») mais aussi Dupeyron (« La chambre des officiers ») ou encore Serge Bozon (« La France ») ce sont tour à tour les déserteurs, combats d’honneur, vie à l’arrière du front ou la souffrance qui furent mis en exergue. On se souvient même de la version édulcorée et guimauvesque de cette guerre avec la pathétique « Joyeux Noël de Christian Carrion. « La peur », s’impose d’office comme le film qui vient traduire la souffrance à l’état brut, aucunement magnifiée, ni exacerbée, simplement le reflet d’âme d’un soldat qui peu à peu perd pieds face à cette traumatisante réalité.
Courageux parce que Damien Odoul s’approprie le sujet et confronte ses souvenirs de lecture, de peinture, de cinéma qu’il intègre dans le récit lui conférant une vision très personnelle et renforçant toute son authenticité. Il fait aussi appel sur le sujet à notre propre mémoire. On pense à « Thomas l’imposteur » de Cocteau sur le côté licencieux, aux horreurs et lumières d’un Otto Dix, à des scènes de genre d’un Rémy Cogghe (le cabaret au début du film) à Wilfried Owen…
Mais « La peur » est avant tout une œuvre de contraste, à l’image de ce conflit où l’horreur et la mort côtoyaient une vie qui perdure, pour laquelle chacun se battait avec ses propres armes, au front, comme à l’arrière. Cette dichotomie est constante dans le film aussi bien à l’image (monochromie pour les combats et luminosité excessive pour la vie « civile ») qu’au niveau du son ou de la musique (vrombissante ou mélodieuse selon l’action). Le constat est identique sur un point de vue plus psychologique, le « héros » sombre et avec lui sa pensée et sa vision de choses. Avec ce cheminement de la peur au ventre, peu à peu l’âme se noircit pour ne devenir qu’une chose informe et désincarnée.
Tout dans ce film participe à creuser le malaise, infliger la vérité et réveiller notre conscience sur un conflit que l’on imagine plus autrement que comme une carte postale sépia où le poilu représente le valeureux héros propret, occultant l’épouvante et les angoisses qui le tenaillaient ! « La peur », dans ce sens, est un film choc, plus vrai que nature. Le choix de comédiens amateurs est d’ailleurs intelligent car il vient renforcer cet état d’urgence et cette candeur bafouée, On accuse le coup, on se racle souvent la gorge et on n’en sort pas indemne.