C’est toujours le même problème qui se présente avec les films de Paul Thomas Anderson, l’homme que beaucoup considèrent aujourd’hui comme “le plus grand réalisateur vivant”. Il est difficile de totalement percer ses films à jour, encore plus à la première vision : j’ai toujours des doutes à propos de ‘Magnolia’, je n’y suis pas vraiment arrivé sur ‘The master’ et il me manquait un fifrelin d’état second pour digérer ‘Inherent vice’. Leur curieux mélange d’académisme et de modernité est exactement ce qu’il faut pour les rendre intemporels, et il est impossible de ne pas déceler en eux de futurs Classiques : quand on parlera dans 30 ans des grands films de 2017, on citera ‘Phantom thread’, j’en mettrais ma main à couper. Et pourtant, sur le coup, je ressens toujours la même difficulté à adhérer sans réserve aux proposition de cinéma de Paul Thomas Anderson. Je respecte tous ses films. Je n’en apprécie vraiment que la moitié. Cette fois, c’est le milieu de la haute-couture, à Londres, dans les années 50 qui tient la vedette...cependant, le scénario n’est pas à considérer comme un simple prétexte à une balade dans un lieu et une époque déterminée : il fonctionne par et pour lui-même, le récit de cette relation trouble, où le pouvoir change constamment de main, entre un couturier maniaque et obsessionnel et une jeune modèle : il cherche moins une amante et une confidente qu’une muse. Elle accepte d’être la simple projection des fantasmes créatifs de son pygmalion mais ne peut s’en satisfaire à long terme. C’est l’immense Daniel Day-Lewis, qui a certainement travaillé des mois chez un couturier au préalable afin que ses gestes soient ceux d’un couturier et pas ceux d’un acteur imitant un couturier, qui incarne ce personnage instable et névrosé, face à une jeune actrice luxembourgeoise, Vicky Krieps, qui ne démérite pas. Psychologiquement, cette lutte de pouvoir silencieuse, sans cris ni fracas, où les coups se portent à fleurets mouchetés, est plutôt fascinante à suivre. Toutefois, s’il se justifie amplement sur le plan théorique, le formalisme précieux de Paul Thomas Anderson me pose de nouveau problème. D’accord, l’amour, comme la haine, se tissent lentement, à l’image de la plus prestigieuse des créations et c’est dans ses recoins les plus secrets - la manie du Maître est d’agrémenter ses robes d’objets et de messages secrets qu’il dissimule dans leurs revers - qu’on découvre sa signification profonde. D’accord, la sophistication et l’affectation du réalisateur font écho à celui du personnage et ce dernier, démiurge tyrannique, est, dans une certaine mesure, une projection de l’autre...mais le fait est que dans ‘Phantom thread’ tout est posture (très) apparente : “Regardez ma science du cadrage, vous verrez celle du montage plus tard”. “Regardez quel regard unique je porte sur les choses”. “Regardez comme je place mes silences au bon moment pour qu’ils en disent aussi long que mes dialogues”. Oui, Paul Thomas Anderson est un auteur et un réalisateur accompli...mais vingt cinq ans après ses débuts, ce n’est sans doute plus nécessaire de le crier aussi fort : c’est irritant...et ça n’empêchera pas ce ‘Phantom thread’, minutieux mais froid et désagréable, de prétendre au statut de futur Classique.