Spielberg a voulu que la gestation de The Post soit la plus brève possible, car le parallèle lui tenait à cœur entre l'affaire qui est au centre de son scénario et l'ambiance de plus en plus lourde de fake news régnant sur le monde actuel. En effet, l'affaire dont il s'agit, précédant le Watergate autant en poids historique que chronologiquement, c'est la dissimulation par plusieurs gouvernements successifs du fait que la Guerre du Viet Nam était perdue depuis longtemps.
Faisant mine de retracer comment le Washington Post a vu sa chrysalide d'entreprise familiale éclore en journal national, Spielberg a donc pour credo de redonner leur poids aux mots. À notre époque, ils n'en ont en effet plus guère. Tout le monde peut écrire sur n'importe quoi sur des pages dématérialisées (même moi sur ce film, vous voyez bien), et c'est un regret qu'il veut (et va) transformer en saveur.
Oui, les mots imprimés par le Post et le Times sont lourds d'un sens qu'on a perdu de vue, un sens qui faisait alors la passerelle entre la liberté de la presse et la sécurité d'État. La presse montrée par Spielberg est une machinerie mentale et technologique qui sert de liant à un monde en pleine crise – et plus qu'un parallèle avec la fin des années 2010, c'est un contraste avec elles, car on n'a jamais autant manqué de ce liant qu'aujourd'hui. Mais je digresse.
Ce n'est pas qu'une guerre des journaux. C'est aussi un tournant historique qui est à la fois les racines et les fleurs du mouvement hippie, et le moment où la politique a été déconnectée du peuple américain plus que jamais – du moins jusqu'à la démission de Nixon. En ça, le journalisme, et sa vocation d'être au service des gouvernés et non des gouvernants, a une place de choix qui est rendue avec un vrai amour de l'Histoire.
Cependant, c'est un sujet qui nécessitait un traitement très bureaucratique, du genre de Les Hommes du Président et La Guerre selon Charlie Wilson combinés. Or il semble que The Post faillit là où ces deux films réussissaient : dans la faculté à se détacher du genre du film historique, ne serait-ce que pour en faire un film d'acteurs, c'est-à-dire un film livré entièrement à son casting. Ce n'est pas un sentiment qui ressort ici, même si Hanks et Streep, ensemble comme pris à part, sont toujours un gage de qualité. Ce n'est pas non plus un problème d'écriture à proprement parler, mais le matériau historique dont disposaient les scénaristes n'est pas bien dégrossi – il étouffe l'ambiance et rend difficile de voir les enjeux derrière les pièces austères et le soin apporté à la reconstitution des dialogues.
Pentagon Papers est une œuvre beaucoup plus marquante par la position qu'elle prend que par son sujet ou son traitement. C'est une œuvre qui s'analyse pour ce qu'elle montre, et pour ce qu'elle est, mais pas pour la manière dont elle le fait. C'est curieux, et si c'est exprès, c'est brillant. Mais par un surplus d'attachement au style "l'Histoire selon Hollywood", il a aussi un petit côté antifilm.
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