Découverts dans la noblesse de « Mad Love In New York » et la réconciliation avec Robert Pattinson dans « Good Time », les frères Benny et Josh Safdie se sont fait une réputation et ils inaugurent de l’espoir dans cette filiale du cinéma qu’est Netflix. Qu’on apprécie ou non le concept, ces réalisateurs sauront jouer avec les attentes et la folie du spectateur, comme du personnage central. Dans ce polar fou furieux, l’intrigue nous emmène dans un « No Man’s Land », quelque part entre les enfers et le paradis, mais inutile de préciser que beaucoup de choses vont mal tourner et vont précipiter les enjeux à un niveau où la fibre du hasard sera notre seule échappatoire.
On nous introduit Howard Ratner, bijoutier et acheteur-parieur compulsif. Il vit constamment sur le fil entre la réussite et le désastre, mis quand le destin vient frapper à sa porte, il ne peut plus reculer et fonce droit dans une pente dont il serait possible de faire marche arrière… quoique. Adam Sandler le campe avec une justesse, réhabilitant ainsi le comédien qui s’est souvent enfermé dans des comédies inintéressantes, voire ridicules. Même s’il faut parler divertissement, la sensation ira à l’opposé à ce qu’on lui aurait associé. Mais nous le sentions déjà plus mature, notamment avec son passage derrière la caméra de Paul Thomas Anderson dans « Punch-Drunk Love » et il le démontre avec une puissance émotionnelle qui évoque l’art abstrait, mais qu’on prend soin de voir briller le temps d’un espoir avant de le voir replonger dans une spirale chaotique. Il constitue cet amas d’énergie qui perd en intensité et qui engendre les collisions les plus improbables et les plus vicieuses. Et c’est justement dans ce contexte ardent qu’on le verra évolue et au cœur d’un récit New-Yorkais frénétique et rocambolesque.
Il vaut le voir pour y croire et il ne s’agit pas que de l’œuvre qui est le témoignage d’une excellente écriture. La venue d’une gemme viendra bouleverser la routine, loin d’être concluante, d’Howard qui jongle constamment entre les familles et amante, ou encore clients et fournisseurs. Tout se recoupe à des dettes démesurées qui manipuleront son instinct et sa raison, s’il lui en reste. Et on ressent constamment le protagoniste se débattre pour sa survie grâce à ce cadre serré et étouffant. Tout le monde cherche à gagner du terrain sur l’autre et les forces qui s’opposent sur l’écran font le nécessaire afin de s’armer d’impatience, tout comme le spectateur qui guette si sa place est assez confortable. Le combat est physique et mental, notamment dans un dernier acte qui nous empêche de respirer ou étire l’échéance avent une telle pression qu’on ne vit plus que dans l’instant.
On le comprend donc, mais « Uncut Gems » réussit le pari fou d’assimiler un univers noir et redoutable, même pour le plus confiant ou le plus chanceux. Les multiples péripéties alimentent constamment la chute du héros qui panse à chaque fois ses plaies, de plus en plus conséquentes et de plus en plus lourdes de sens. Le film adore maltraiter ses personnages, mais avec l’ironie et du sort et d’un environnement que l’on exploite avec parcimonie, afin de rendre ce thriller tranchant et sanglant.