La réussite de Chambre 212 dit tout de l’échec intégral qu’est La Belle époque, autre film à concept reposant sur la mise en place d’un dispositif fictionnel dans l’espoir de se raccorder au réel. Car là où la production de Nicolas Bedos faisait du dispositif de mise en abyme de la réalité par la fiction la finalité de son geste, le film de Christophe Honoré a l’intelligence de construire ce dispositif au fur et à mesure que la situation affective de Maria évolue, si bien que les personnages et leurs sentiments ne sont pas enfermés dans une boîte à meuh – ce qu’est La Belle époque – et réduits à commenter l’artifice, mais communiquent par l’espace (la porte, la fenêtre, la rue) et la matière (le lit, la moquette, le peignoir, la chaise). Les personnages de Chambre 212 sont en miroir les uns des autres, de la même manière que le titre reflète deux 2, que la maquette de la rue où se tient l’hôtel remplace les prises de vue réelles dans le songe de Maria, que l’hôtel ait vue sur l’appartement, et vice versa. Le cinéaste réussit à constamment nous surprendre en empruntant des couloirs qui s’ouvrent, se creusent et disparaissent au terme d’une discussion, après une scène d’amour ou une prise de décision ; il transforme la chambre en dédale dans lequel s’engouffre une conscience en conflit avec elle-même et qui cherche à se raboucher à la mémoire, à cette mémoire qui seule peut donner à entendre le langage du cœur, d’aussi loin puisse-t-il provenir, et ainsi sauver un couple au bord de la rupture. Le film est à l’image de la sonatine rejouée dans le salon de Richard : il re-présente, il remet en présence des souvenirs telle la défilade des amants et qui n’ont de valeur que dans leur propension à irriguer l’amour d’un flux nouveau. C’est un huis clos toujours ouvert sur un ailleurs. Les dialogues bénéficient d’une écriture alerte et fine, dotée de fulgurances poétiques remarquables. Et que dire de Chiara Mastroianni, sinon qu’elle illumine chacun des plans ? son personnage témoigne d’une profonde mélancolie enfouie sous un appétit sexuel qui n’est jamais caché et qui ne tombe pas dans la nymphomanie. Le cinéma français manque de personnages féminins non pas sexualisés mais sexuels, des femmes qui n’ont pas peur d’assouvir leur désir ou de le questionner, ce que fait ici Chambre 212 avec une intelligence rare et avec humour.