A Hollywood, le statut de Christopher Nolan est celui d’un des réalisateurs les plus « rentables », un des rares qui ne se loupent jamais lorsque les studios leur confient des méga-budgets. Une réussite éclatante qui lui permet en sus de conserver un statut d’auteur acquis avec « Memento », thriller ambitieux qui avait stupéfié la critique et le public par son audace narrative. A la suite de cette entrée très remarquée sur le sol américain, lui est confiée dans la foulée une commande avec le remake d’« Insomnia », un thriller norvégien dont le succès aux Etats-Unis avait été remarquable et inattendu. Sans doute une manière de tester l’adaptabilité du jeune réalisateur. Le scénario écrit par Hillary Seitz apporte de nombreuses retouches à l’original afin de permettre au duo inédit composé par Al Pacino et Robin Williams de donner sa pleine mesure. Le film d’Erik Skjoldjaerg, tourné avec peu de moyens s’avérait particulièrement austère et se concentrait essentiellement sur la personnalité très trouble du policier suédois (Stellan Skarsgard), envoyé en renfort en Norvège pour résoudre l’assassinat d’une jeune fille dans une région située près du cercle polaire, là où l’on dit que le soleil ne se couche jamais (d’où le titre du film). Rallongé de près de vingt minutes, le film développe des sous-intrigues et étoffe très à propos le rôle de l’assassin, permettant à Robin Williams, abordant la cinquantaine, de diversifier sa palette de rôles. Sa prestation de technicien photographe déséquilibré dans « Photo Obsession » de Mark Romanek deux ans plus tôt avait déjà montré la part d’ombre que portait en lui le clown très triste qu’était en réalité Robin Williams. Il confirmera ici avec brio. Idem pour le rôle de la jeune policière locale chargée de mener une enquête interne, confié à la double oscarisée Hillary Swank qu’il fallait rendre plus visible. Quant à Al Pacino, il arrive dans la petite ville de Nightmute en Alaska flanqué d’un adjoint (Martin Donovan) et précédé de sa réputation de flic hors pair de Los Angeles alors que la police de la Cité des Anges commence à lui chercher des poux dans la tête concernant ses méthodes plutôt musclées. On le voit, beaucoup d’ajouts pour donner plus de matière au spectateur ainsi qu’aux trois acteurs chevronnés. Avec le recul, on peut dire que le film y gagne en intensité même si le rôle de l’inspecteur en charge de l’enquête perd une grande partie de son mystère et de l’effroi que Stellan Skarsgard, un peu seul sur l’écran, parvenait à diffuser. Enfin grâce au talent de Christopher Nolan et aux moyens dont il dispose, le film est bien sûr mieux réalisé. On remarque notamment la très belle photographie de Wally Pfister, chef opérateur attitré de Nolan sur la plupart de ses films. On regrettera seulement que la prestation d’Al Pacino tout d’abord excellente, tombe un peu dans la caricature quand le dénouement se rapproche et que tous les tracas psychologiques et physiques dont l’ont lesté les aménagements cités plus haut font perdre sa crédibilité au personnage. « Insomnia » reste toutefois un bon thriller qui a permis à Christopher Nolan de se voir ouvrir toutes grandes les portes des studios. La réalisation de « Batman begins », film à très gros enjeu, pouvait donc lui être confiée pour déboucher sur la suite que l’on connaît. Pour autant, Christopher Nolan remarquable technicien laissera-t-il une œuvre aussi diverse et surtout aussi personnelle que celle de son compatriote Ridley Scott auquel il peut être comparé ? La question mérite d’être posée.