Souvent regardé comme le meilleur Allen de ces dernières années, Match Point est pourtant un film qui oublie la touche de légèreté dont son réalisateur a si souvent accompagné le cynisme qu'il se plait à dérouler, donnant à son cinéma des allures aussi facétieuses que caustiques. Ce jeu n'a pas tout à fait disparu, mais il se fait ici bien plus cruel que de coutume, dessinant ce qui ressemble à une tragédie classique, la dramatisation outrancière en moins, une actualisation sociale et thématique en plus. Woody s'amuse en effet tellement des faux-semblants de la caste bourgeoise du vieux Londres, qu'il construit tout son scénario comme un gigantesque tromperie, théorisant sans arrêt sur la place du hasard dans nos vies pour au final choisir à chaque fois (ou presque) de tirer dans le même sens, réservant la chance à son personnage principal. Comme quoi, on peut toujours monter les échelons, réussir pleinement n'existe pas dans un monde où chaque chose à au moins un prix, à défaut d'avoir une valeur. Mais j'aime le parti pris du vieux réalisateur (plutôt en forme, à 70 ans), cette volonté de faire du cinéma en parlant de choses sérieuses, tout en employant quasiment le registre de la farce (et de l'admettre). Ça donne une sacré force de caractère à un scénario dont les excès pourraient faire rire s'il ne le faisait pas avec nous. Sinon, j'ai vraiment apprécié Rhys Meyers, et son charme sensible à la Joaquin Phoenix, rehaussé d'un petit glacis calculateur qui enrobe parfaitement le personnage. Pour Johansson, je suis comme souvent plus mitigé, même si elle nous gratifie d'un allumage de clope qui aurait du devenir culte. Il faut dire qu'on en a tellement fait des caisses, de cette actrice. En revanche, j'aime beaucoup Matthew Goode, classe, d'une arrogance civilisée mais perceptible, et impénétrable. Son personnage n'est pas le plus fouillé, mais il lui donne de l'épaisseur. Bref, un film incisif, pertinent, bien rythmé (le montage s'occupe très bien de donner vie aux sentiments des personnages, ou à leurs impulsions plutôt, tout se passant souvent par accélérations dans ce monde égoïste où les pulsions n'attendent qu'un relâchement de la surveillance des autres pour s'emparer des gens). Mis à part un petit faiblissement dans le troisième quart, mollasson au-delà du raisonnable, j'y ai vraiment trouvé mon compte. Un Allen aussi original que fidèle à ce qu'il sait dire de mieux.