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    The Son : le réalisateur de The Father revient avec un drame familial porté par Hugh Jackman
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Oscarisé grâce à "The Father", Florian Zeller adapte une autre de ses pièces de théâtre sur grand écran. Et il nous présente le drame "The Son", porté par Hugh Jackman et Laura Dern.

    Un coup d'essai aux allures de coup de maître. Pour sa première réalisation, Florian Zeller avait adapté avec brio sa propre pièce, The Father, et décroché un Oscar du Meilleur Scénario Adapté pendant qu'Anthony Hopkins s'offrait la deuxième statuette dorée de sa carrière.

    Deux ans plus tard, il passe la seconde avec The Son. Une autre de ses pièces, également centrée sur une histoire de famille et de maladie, dont le titre fait écho à celui de The Father. Florian Zeller a-t-il voulu jouer la carte du changement dans la continuité avec ce drame dans lequel les personnages joués par Hugh Jackman et Laura Dern doivent faire face à la dépression de leur fils (Zen McGrath) ? Réponses passionnantes avec le principal intéressé.

    The Son
    The Son
    Sortie : 1 mars 2023 | 2h 03min
    De Florian Zeller
    Avec Hugh Jackman, Laura Dern, Vanessa Kirby
    Presse
    3,2
    Spectateurs
    3,9
    louer ou acheter

    AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a conduit à faire de cette pièce votre second film en tant que réalisateur ?

    Florian Zeller : Avant même de faire The Father, je savais déjà que si j'avais l'opportunité de faire un autre film après - ce qui n'est jamais garanti - ce serait The Son. Je le portais comme un désir très profond, parce que c'est une histoire qui me tenait à cœur et me tient toujours à cœur, et que j'avais peut-être besoin de raconter. Mais aussi parce que j'ai senti qu'elle avait besoin d'être racontée. Qu'il le fallait, car c'est une histoire dont on ne parle pas.

    C'est celle d'un père qui tente d'accompagner, d'aider et même de sauver son fils de 17 ans qui traverse une dépression. Il me semble que c'est un sujet qu'on s'applique à ne pas regarder dans les yeux. Et c'est pour cette raison que je voulais tant faire ce film. C'était d'abord une pièce et, au moment où elle a été jouée à Paris avec Yvan Attal et Rod Paradot, j'avais été frappé par ce qui s'était passé : quand elle se terminait, quelque chose d'autre commençait, de l'ordre de la conversation.

    Les gens venaient beaucoup me voir pour me dire qu'ils savaient ce dont je parlais, car ils avaient un frère, un fils ou une tante dans la même situation. J'ai senti presque physiquement à quel point beaucoup de gens connaissent ces situations. Personne n'est épargné par le fait d'avoir quelqu'un que l'on aime, autour de nous, qui traverse une crise de fragilité psychique. Je sentais aussi à quel point il y avait de la honte, de la culpabilité et, parfois, beaucoup d'ignorance autour de ces sujets. Et c'est pour toutes ces raisons que j'ai voulu faire The Son.

    La singularité de la maladie ou fragilité mentale, c'est qu'il n'y a pas toujours d'explication

    Le fait qu'on en parle peu, comme vous dites, s'accorde bien avec l'un des aspects les plus intéressants du film : ces scènes qui mettent en avant le côté inexplicable du mal qui ronge le fils. C'est quelque chose de difficile à faire au cinéma, où le public veut des explications, mais ça peut être l'une des raisons du fait que ce sujet est tabou.

    Je pense que c'est un sujet tabou, car ça nous renvoie à un mystère vertigineux. C'est presqu'un trou noir la maladie mentale. Et même ces mots, "maladie mentale", c'est une expression que l'on sent problématique ou stigmatisante en français alors qu'il n'y a pas de jugement dedans. Parce qu'on aimerait toujours qu'il y ait une raison - un traumatisme ou une raison psychologique - qui justifie le fait d'être en douleur. Autrement, c'est trop injuste.

    Et pourtant, on connaît tous des gens qui, sur le papier, ont tout pour être heureux et qui, pourtant, sont en difficulté. La singularité de la maladie ou fragilité mentale, c'est qu'il n'y a pas toujours d'explication. Ou il y a une explication multiple. Parfois c'est biochimique, parfois purement chimique, transgénérationnel… Il y a tellement de plans qui s'additionnent qu'on ne peut pas la regarder en l'expliquant d'une façon simple.

    UGC Distribution
    Hugh Jackman & Zen McGrath

    C'est la raison pour laquelle, dans ce film, j'ai tenté de ne pas l'expliquer. Quitte à créer de la frustration chez les personnages et aussi les spectateurs, car je voulais qu'ils soient dans cette position. De ne jamais la résoudre. Au cinéma, on est censés tout résoudre dans le scénario. Mais là, il y a quelque chose de volontairement non résolu, qu'on ne parvient pas à définir, car ça me semble être la façon la plus honnête de regarder ce sujet. Car c'est ainsi que ça se présente à nous dans la vie. Comme un mystère capable de dévorer ou abîmer une famille.

    C'est une histoire que j'ai voulu raconter du point de vue des parents. De ceux qui veulent aider, qui sont des parents aimants et attentifs mais qui, pourtant, n'ont pas les clés pour ouvrir les bonnes portes. Et ne savent pas comment aider cet enfant en difficulté.

    Est-ce aussi la raison qui vous a encouragé à enchaîner "The Father" avec "The Son" : continuer d'explorer des thèmes tels que la famille ou la maladie en élargissant le cadre et changeant de point de vue, plutôt que de faire quelque chose de diamétralement opposé ?

    Il y a des territoires familiers entre The Son et The Father. Pourtant, j'ai abordé celui-ci d'une façon complètement différente. Chaque histoire exige une trajectoire différente : dans The Father, il s'agissait d'être presque dans le cerveau du personnage principal et j'espérais mettre le spectateur dans cette position singulière, où l'on ressentait ce que cela pouvait vouloir dire que de perdre tous ses propres repères. Comme si c'était une expérience subjective et immersive. Comme si nous avions nous-mêmes l'expérience de la démence sénile.

    A l'inverse, dans The Son - et même si c'est le titre du film - il ne s'agissait pas de tenter de rentrer dans ce cerveau en souffrance. Mais, au contraire, de se tenir à l'extérieur, sur le seuil. Et de ne pas parvenir à pénétrer cette âme. De ne pas réussir à la comprendre. Pour être dans une position qui est celle des parents, ce qui a une implication sur la forme du film, qui est très linéaire, très direct.

    La plupart des choses que j'ai écrites sont construites comme des labyrinthes, et j'imagine que c'est la façon dont je pense. Là j'ai tenté d'être le plus linéaire possible. Le plus simple possible. Et même, en termes de mise en scène, d'être le plus sobre possible. Car ça me semblait être la façon la plus honnête de regarder ce sujet, de ne pas en faire quelque chose d'esthétisé, de ne pas détourner le regard du vrai sujet que je voulais aborder : ce trou noir qui ne donne pas de réponse. Non pas pour seulement dire qu'il n'y a pas de réponse, mais pour accentuer ce sentiment de tragique.

    La plupart des choses que j'ai écrites sont construites comme des labyrinthes, et j'imagine que c'est la façon dont je pense

    La tragédie est quelque chose qui a une forme linéaire : ça va d'un point à un autre de façon directe. On pressent ce vers quoi ça va aller, et on ne peut rien faire pour l'en empêcher. C'est ainsi que toutes les tragédies, même antiques, sont construites : dès le début, les personnages sont informés de leur destin. Et ils ont beau se battre de toutes leurs forces pour tenter de le changer, ils ne l'accomplissent que plus certainement en réalité.

    Je voulais créer ce sentiment, y compris chez les spectateurs. D'emblée, quelque chose nous informe de l'endroit vers lequel on va. Mais malgré nos efforts, et ceux des personnages, rien ne déjoue ce pressentiment. Et la raison pour laquelle j'ai choisi cette forme, c'est parce que je pense que la tragédie est évitable, et c'est tout le sens de ce film pour moi. spoiler: Il aurait pu finir différemment, si les bons mots avaient été employés, si les bonnes conversations avaient été engagées et l'aide nécessaire sollicitée au bon moment.

    Il est très difficile pour des parents d'accepter de ne pas être équipés pour gérer une crise de souffrance, surtout quand il s'agit de ses propres enfants. C'est tellement difficile d'accepter de ne pas être la personne qui peut aider, ou de comprendre que l'amour, parfois, ne suffit pas. Ça prend du temps, mais on ne dispose parfois pas de ce temps, et c'est là que la tragédie peut arriver.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 21 février 2023

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