Ce réalisateur signe un petit film de science-fiction devenu culte, avant de changer son nom en Jésus-Christ II
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Formé à l'école de Roger Corman, le réalisateur Tom Graeff, largement inconnu du grand public, a signé (et bricolé !) en 1959 un petit classique de la SF, "L'Invasion martienne". Le cinéaste connaîtra une suite de carrière très compliquée...

Tom Graeff Productions

L'Histoire du cinéma est constellée d'exemples de parcours et destins singuliers de ses talents gravitant dans sa galaxie, avec hélas, pour certains et certaines, un dénouement absolument tragique. C'est le cas d'un cinéaste bien connu des amateurs de nanars de science-fiction qu'Hollywood a produit à la chaîne dans les années 50 : Tom Graeff.

Né en Arizona le 12 septembre 1929 d'un père ingénieur et d'une mère au foyer, Tom Graeff déménage durant sa jeunesse à Los Angeles. Etudiant, il s'inscrit au programme d'arts théâtraux de l'université UCLA, où il étudie la réalisation et le théâtre. En 1951, il signe un premier court d'une vingtaine de minutes, Toast to Our Brother.

Pour son second court, The Orange Coast College Story, signé en 1954, il s'adjoint les services de Vincent Price qui accepte de faire la voix off, et qui est à l'époque un ami de son professeur de faculté. Cette même année, il commence à travailler sur son premier long métrage, une comédie baptisée The Noble Experiment.

Déjà habitué à financer ses projets avec des bouts de ficelles et travaillant à l'économie, multipliant ainsi les casquettes et faisant même l'acteur, il rentre dans la meilleure école qui soit en la matière : celle de Roger Corman, qui l'engage comme assistant sur le film de science-fiction Pas de cette Terre, en 1957.

Un film de SF vénéré par Tim Burton

C'est à ce moment-là que Tom Graeff décide lui aussi de faire un film de SF. Obtenant une contribution financière de 14.000 $ auprès de l'acteur Gene Sterling Graeff publie une annonce dans The Hollywood Reporter pour chercher d'autres investisseurs. L'acteur britannique Bryan Grant répond à l'annonce, versant 5000 $ en échange du rôle du méchant et du casting de sa femme dans un petit rôle.

Tourné entièrement à Hollywood entre l'automne 1956 et l'hiver 1957, le film à petit budget connut plusieurs titres avant d'être distribué par Warner Bros en juin 1959 dans le cadre d'un double programme pour les cinémas de Drive-in : L'invasion martienne. Un film de série B qui deviendra culte au fil des ans.

Tom Graeff Productions

Le pitch ? Un jeune extraterrestre et une adolescente terrienne tombent amoureux et doivent empêcher les camarades de l'extraterrestre d'utiliser la Terre comme terrain fertile pour des monstres géants afin de fournir de la nourriture à leur planète natale. Et quand on parle de monstres, ceux-ci ressemblent surtout à des homards géants.

Le film a d'ailleurs fait le bonheur de la chaîne FX, qui l'a régulièrement diffusé. Il est aussi disponible sur Prime video si le coeur vous en dit. Pour l'anecdote, il a même servi d'inspiration à Tim Burton pour son Mars Attacks! pour un élément bien précis : le fameux rayon du pistolet paralysant employé dans le film, transformant instantanément ses victimes en squelette.

A quoi ça ressemble ? A ca !

Si ce film bricolé à l'aide d'un budget toujours ultra serré a finalement été un peu profitable, Tom Graeff et ses quelques investisseurs n'ont pourtant pas vu l'ombre d'un centime en retour... Au point que son acteur associé, Bryan Grant, se retourna contre lui et l'attaqua en justice pour récupérer sa mise de départ.

"Je suis Jésus-Christ II !"

Tourmenté, en proie à des démons intérieurs, Tom Graeff plonge dans une dépression. En novembre 1959, il fait publier une publicité dans le Los Angeles Times, annonçant que Dieu lui a parlé et veut qu'il répande la paix et l'amour à travers le monde.

Elle est suivie par une autre publicité, annonçant que Graeff s’appelle désormais Jésus-Christ II, et qu’il fera une apparition sur les marches d’une église d’Hollywood pour répandre la parole de Dieu. En 1960, Graeff comparait devant la Cour supérieure du comté de Los Angeles, pour demander son changement de nom. Face à l'opposition virulente de la Ligue de défense chrétienne, sa demande est rejetée.

Particulièrement virulent, Graeff / Jésus-Christ II fait campagne pour la libération d'un fameux condamné à mort, Caryl Chessman; milite pour voir le chef de l'URSS Nikita Khrouchtchev recevoir le Prix Nobel de la paix; rentre dans une église bondée en plein office, hurlant "Je suis Jésus-Christ II et j'ai un message"... Arrêté pour trouble à l'ordre public et emprisonné, il est finalement expédié dans un établissement psychiatrique où il reçoit un traitement par électrochocs. Fin 1964, il est renvoyé chez ses parents, en Californie.

Tom Graeff dans Tom Graeff Productions
Tom Graeff dans "L'invasion martienne".

L'année suivante, il est engagé comme monteur sur un film ultra low cost en 1965 signé par David L. Hewitt, intitulé Wizard of Mars. En 1968, il publie dans Variety une annonce, précisant que le script de son nouveau film est à vendre pour 500.000 $. Une somme alors jamais vue pour un scénario.

Lorsque Graeff insinue qu'un certain nombre de personnalités sont attachées au projet (dont Robert Wise), une fameuse journaliste spécialisée dans les potins mondains travaillant au Los Angeles Times, Joyce Haber, publie un billet assassin sur lui, rappelant aux lecteurs qu'il fut le Jésus-Christ II dans un scandale vieux de 10 ans... Ce qui porte l'estocade à une carrière déjà bien malmenée. Il tente bien de continuer à vendre son scénario en démarchant les agents d'Hollywood et même d'ailleurs, personne n'en veut.

Toujours en proie à la dépression, il déménage d'Hollywood pour louer une chambre aux abords de San Diego. Il parle régulièrement de se suicider auprès de son cercle d'amis, qui ne le prend pas au sérieux. Au matin du 19 décembre 1970, il est retrouvé dans son garage au volant de sa voiture, mort asphyxié par le monoxyde de carbone. Il avait 41 ans.

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