
S'il diffère naturellement par sa forme des oeuvres fictionnelles, le champ émotionnel ouvert par le documentaire peut être d'une puissance absolument dévastatrice. Parce qu'il aborde des sujets touchant parfois à l'intime, des questions qui nous heurtent profondément et nous interrogent sur notre rapport au monde.
Le cinéma a toujours été fasciné par la politique. L'inverse est tout aussi vrai. On trouve ainsi -et heureusement- des documentaires capables de dévoiler la vraie nature du pouvoir et ses moeurs politiques, son cynisme, sa cruauté, son clientélisme aussi, comme une radiographie implacable. Dans ce registre, l'extraordinaire documentaire General Idi Amin Dada de Barbet Schroeder s'impose comme une évidence.
En voici un extrait..
En 1971, un coup d'Etat chasse du pouvoir le président de l'Ouganda Milton Obote. Le général Idi Amin Dada le remplace. Commence alors un règne de huit ans de terreur absolue, d'un régime qui fera plus de 300.000 morts...
General Idi Amin Dada est un exemple assez unique. Il s'agit en effet d'un autoportrait, que le réalisateur Barbet Schroeder proposa à l'intéressé. "Je voulais comprendre ce que cela signifiait de s’approcher du mal” confiait le cinéaste en avril 2015, à l'issue d'une projection du documentaire organisée par la cinémathèque suisse.
Séduit par le projet, fasciné par Hitler et son oeuvre de propagande le Triomphe de la volonté, Amin Dada donnera carte blanche au cinéaste, qu'il voit un peu comme son Leni Riefenstahl. Se mettant en scène, le dictateur se révèle parfois drôle, cruel, jovial, séducteur, menaçant.
"Quand je pense à toutes ses victimes, je me sens mieux !"
"Je pense que c'est un film unique, parce qu'il est très rare, pour ne pas dire unique, de pouvoir approcher un dictateur comme cela. Il est réussi grâce à l'innocence du personnage que nous avons exploité; c'est grâce à ça que nous avons pu le faire. C'est sans doute la seule chose qui me fait sentir un peu mal à l'aise. Mais quand je pense à toutes ses victimes, je me sens mieux !" dira Barbet Schroeder.
Insatisfait du résultat à la sortie du documentaire, Idi Amin menaça de s'en prendre à 150 ressortissants français expatriés en Ouganda si Barbet Schroeder n'effectuait pas les coupes qu'il réclamait.
Le cinéaste s'est exécuté. Elles sont au nombre de trois, pour une durée totale de 2min 21 secondes. La première concerne d'ailleurs le tout début du documentaire, une scène d'éxécution publique, avec une voix off expliquant que le régime d'Amin Dada est à l'origine de plusieurs milliers de disparitions de personnes. Selon le tyran, il n'y avait pas de prisonniers politiques en Ouganda, et les personnes disparues se cachaient en fait à Londres... Peu après la chute d'Amin Dada en avril 1979, Barbet Schroeder réintègrera les images coupées.

Sans jugement et sans prendre partie, General Idi Amin Dada est un extraordinaire documentaire, grâce -ou à cause de- son interprète principal. Un hallucinant et pathétique Ubu roi, qui se fend même d'un petit air d'accordéon pour accompagner musicalement cet autoportrait absolument sidérant.
Réuni au sein d'un coffret DVD de films de Barbet Schroeder édité par Carlotta en 2007, General Idi Amin Dada : autoportrait n'a toujours pas eu les honneurs d'une parution en Blu-ray. Une cruelle injustice pour une oeuvre aussi importante.