En 2016, Lawrence Valin intègre le programme La Résidence de La Fémis, où il réalise le court métrage Little Jaffna, récompensé par le Prix Canal+ au Festival de Clermont-Ferrand. Grâce au soutien de la Fondation Gan, il développe ce projet en un premier long métrage, dans lequel il interprète Michael, un jeune policier immergé au sein de la communauté tamoule de Paris. En filigrane de l’intrigue émerge une question centrale : celle de l’appartenance à une communauté, en opposition ou non avec l’intégration dans son pays d’accueil.
À l’occasion de la sortie de ce thriller à la croisée des genres, AlloCiné a eu l’occasion de rencontrer le cinéaste.
Vous êtes comédien à l’origine. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous mettre derrière la caméra ?
Lawrence Valin : Le fait de ne pas avoir de proposition de rôle. J’ai commencé à jouer en 2011, et malgré les années, je n’ai pas eu l’opportunité d’avoir un rôle principal dans un film français. À chaque fois, on me proposait des rôles de migrant, de vendeur de roses, de fakir… J’étais tout le temps dans des rôles stéréotypés et je me suis demandé comment montrer autre chose de moi.
D’où la nécessité de passer à l’écriture. J’ai eu la chance d’être pris à la FEMIS où j’ai pu écrire et jouer. Je me suis dit : “si personne ne croit en moi, moi je vais y croire, et peut-être que grâce à ce film, les gens me verront autrement”. Si je n’ai ni ma place dans le cinéma français, ni dans le cinéma indien, je vais créer la mienne avec ce film.

Le film parle d’un héritage de guerre méconnu mais bien présent. Quelle était votre intention en le montrant de cette manière ?
Le conflit sri lankais a été très peu médiatisé en France. Je voulais absolument le traiter dans mon film puisque c’est un conflit durant lequel j’ai grandi, on en parlait à la maison. La situation politique des Tamouls au Sri Lanka est toujours compliquée. Il n’y a pas eu de reconnaissance de génocide et les promesses des gouvernements n’ont pas été tenues.
Quand je vois des communautés à l'écran, c'est souvent dans une démarche de “White Saver”. J’avais besoin de réaliser d’une manière différente sans être dans le misérabilisme ou dans l’exotisme. Le film de genre me permet de rentrer dans cette communauté et dans ce conflit sans en faire une cause à laquelle adhérer. Mon objectif était avant tout de réaliser un bon polar, et si les spectateurs ont appris quelque chose sur le conflit ou cette communauté, c’est super ! C’est une porte que j'ouvre et j’espère inciter d’autres réalisatrices et d’autres réalisateurs à en parler.
Est-ce que certains évènements du film sont basés sur des expériences vécues ?
Toutes les archives du film sont véritables. Je voulais qu’on sente qu’on ne triche pas avec le conflit. La fête de Ganesh, montrée à l’écran, est célébrée tous les ans dans le 18e arrondissement entre La Chapelle et gare du Nord. Dans certaines scènes, je pars donc du réel pour insuffler ma fiction.
Les gens ne viennent pas voir un film, mais vivre le film. Il y a donc des éléments réels et d’autres pas du tout. C’est ces derniers qui vont me permettre de savoir si les spectateurs sont bien rentrés dans le film. Je ne voulais pas ajouter “inspiré de faits réels”, puisque je n’ai pas besoin de prouver que c’est un film sérieux. Si on aime la proposition, on y entre !

Il y a une tension presque palpable tout au long du film. Comment avez-vous réussi à créer cette atmosphère ?
Quand je réalise, j'essaye vraiment d’être attentif au “plaisir spectateur”. Ici, je lui fais adopter le point de vue du policier pour qu’il se mette à sa place. J’utilise tous les codes du thriller, du film de genre, et j’essaye de les détourner pour surprendre et éveiller tous ses sens. Pour sortir des étiquettes “thriller”, “film noir”, il faut parfois alterner les tons. Par exemple dans des scènes d'hyper violence, un peu d’humour, ça ouvre, et du coup ça nous tient en haleine. J’essaie de mélanger les émotions et c'est sûrement ce qui crée une tension chez le spectateur.

Quelles ont été vos inspirations cinématographiques ?
Le cinéma français, c’est montrer la vraie vie. Le cinéma du sud de l’Inde, c’est montrer l’extraordinaire. Moi, j’ai fait un mélange des deux et c’est ce juste équilibre qui était compliqué à tenir.
J’adore les films coréens : Bong Joon-ho, Na Hong-jin… Ils mélangent tellement les genres qu’on arrive plus à définir ce qu’on vient de voir. Je trouve ça génial de ne pas devoir mettre d’étiquette à un film.
Little Jaffna, c’est un film d’infiltration, mais ce n’est pas que ça. Les films de gangsters, c’est aussi un prétexte pour parler d’intimité, de loyauté. On y retrouve aussi du Sergio Leone… Ces films de mon enfance qui m’ont porté. Je voulais également m’inscrire dans la lignée de tous ces films où on a l’impression de voyager tout en restant dans une ville. Les journalistes vont sûrement mettre des étiquettes à Little Jaffna mais j’ai espoir qu’après plusieurs de mes films, ils diront “Ah, c’est un Lawrence Valin !” (rires).
Comment avez-vous dirigé les acteurs dont ce n’est pas le métier ?

On a vraiment recruté des personnalités, des jeunes qui dégageaient naturellement quelque chose. Mais ils ne se connaissaient pas. Ensuite, on leur a fait faire des stages de théâtre, ils ont travaillé ensemble leur jeu, leur improvisation, le tout avec des coachs et tout de suite, un groupe s'est formé.
Sur le plateau, j’étais avec eux pour les diriger dans le jeu, et surtout pour les rassurer. Je leur disais d’oublier le regard des gens pour que leur jeu soit naturel et je leur rappelais que nous étions tous dans le même bateau. Certains étaient naturellement charismatique comme le personnage de Puvi et je lui faisais remarquer que c’était un chance ! En fin de compte, ce fut vraiment un travail collectif.
Comment le film a-t-il été reçu par la communauté tamoule ?
On a eu des retours extraordinaires de la part de la communauté. Une poignée seulement, issue de la première génération qui a fui le Sri Lanka, n'a pas apprécié le film. Ils n’avaient pas envie d’être représentés de cette manière là. C’est une communauté relativement discrète et pour eux, un certain tabou s’est installé autour de ce conflit.
Pour la 2e génération, la mienne, on devait oublier qui on était et s’intégrer rapidement. La 3e génération, elle, est beaucoup plus dans la revendication de ses racines. En fait, le film fait un pont entre ces générations. Ma démarche était de leur dire à tous : “Ce film, c’est ma vision des choses, ce n’est peut-être pas la vôtre mais parlons-en.” Et, en effet, cela a suscité des discussions ! Le danger, finalement, c’est de n’avoir qu’une seule représentation.
Quelle a été votre réaction lorsque votre film a obtenu le Prix du Public et le Prix du Jury au Festival Reims Polar ?
J’étais déjà très content que le film soit dans la sélection “Compétition” et fier qu’il y soit le seul film français. Little Jaffna a été projeté à l’ouverture et je me contentais déjà de cette formidable visibilité. Mais quand j’ai reçu ces prix, j’étais extrêmement heureux parce que c’est pour le public que j’ai fait ce film. Et remporter le Prix du Public, c’était la consécration. Pour ce qui est du Prix du jury, c’est la profession qui valide mes choix de mise en scène et de narration, donc quelque part, ça donne une confiance pour la suite.
L’objectif c’est de faire autant d'entrées que Slumdog Millionaire, le premier film où j’ai vu des gens de ma couleur de peau et qui a fait déplacer des millions de Français ! (rires) Je pense qu’en France aussi on peut faire des films de ce calibre-là.
Avez-vous l’intention de diffuser Little Jaffna à l’international, notamment au Sri Lanka ?
Le film a déjà été acheté en Angleterre et en Inde. Ce qui est marrant et paradoxal, c’est que dans les festivals aux États-Unis, pour l’instant, nous ne sommes pas pris dans les sélections de films français mais dans les films indiens. Et c’est là qu’on se dit qu’il y a encore du chemin à faire… Je suis très content d’être pris dans ces festivals indiens, mais mon film est français. C’est fou qu'ils ne le voient pas ainsi ! J'espère qu’après sa sortie le 30 avril en France, ils vont se raviser et ce dire “Ah, c’est un succès français !”
Propos recueillis pour AlloCiné par Élise Gries-Braun.
Little Jaffna, premier film prometteur de son réalisateur, est à découvrir en salle cette semaine.