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    States of Grace : Destin Cretton avait "pensé à réaliser un documentaire"

    Passé avec succès par divers festivals (Locarno, Deauville...), "States of Grace" sort enfin dans les salles françaises. L'occasion pour le réalisateur Destin Cretton de nous parler de son deuxième long métrage, issu de sa propre expérience.

    Retenez bien son nom et son visage. Car avec States of Grace, Destin Cretton pourrait bien passer du statut d'inconnu à celui de réalisateur à surveiller de très près. Adapté du court métrage Short Term 12, basé sur sa propre expérience en tant qu'éducateur dans un centre pour adolescents en difficulté, le long métrage sort enfin en France après une tournée réussie dans divers festivals (Locarno, Deauville...), et le metteur en scène est venu le défendre à notre micro.

    Allociné : Quand avez-vous décidé de transformer le court en un long métrage ?

    Destin Cretton : Cela tient beaucoup aux réactions que j'ai eues grâce à Short Term 12. Vu qu'il se déroule dans un centre d'accueil pour ados en difficulté, je pensais qu'il ne s'adresserait qu'à un public restreint : des travailleurs sociaux, ou des gens ayant exercé dans cet environnement et qui pourraient ainsi le comprendre. Mais j'ai découvert qu'ils étaient plus nombreux que je ne le pensais, car les thèmes sont finalement beaucoup plus universels. Ça c'est la première raison qui m'a donné envie d'explorer un peu plus ce monde. Et puis j'avais tellement de matériel : grâce aux interviews et histoires que j'avais collectées, j'aurais pu faire cinq longs métrages car tout me semblait très intéressant.

    Avez-vous reçu le même type d'accueil avec "States of Grace" ?

    Oui. J'ai toujours été surpris par la variété de spectateurs auxquels le film a plu : aussi bien des adolescents qui sont venus me parler après une projection que des personnes âgées, des gens issus de milieux et de cultures très différents. C'est toujours très surprenant de découvrir qui est la personne qui vient discuter avec moi après avoir été touchée par States of Grace. Pour moi c'est la plus belle des récompenses.

    Y avait-il des différences selon les pays dans lesquels vous projetiez le film ?

    Oui, il y a pas mal de variations. J'adore m'asseoir au fond d'une salle de cinéma pour voir comment les spectateurs réagissent face à différentes scènes du film, et certaines blagues font rire tout le monde aux Etats-Unis mais personne en France (rires) Mais j'ai remarqué que d'autres passages ont davantage touché les Français que les Américains. Je ne sais pas à quoi tiennent ces variations, mais c'est amusant de voir le film avec des publics différents car il nous paraît nouveau à chaque fois.

    "J'ai pensé à réaliser un documentaire"

    Le film étant adapté de votre propre expérience, avez-vous été tenté d'en faire un documentaire au lieu d'une fiction ?

    Intialement, j'ai sérieusement pensé à réaliser un documentaire. Mais le problème était d'ordre pratique, car tous les enfants là-bas sont mineurs. Accéder à un tel groupe pour faire quelque chose qui ne soit pas de la fiction est vraiment trop difficile, voire impossible aux Etats-Unis : vu qu'ils sont mineurs et qu'ils n'ont pas de parents, personne ne peut signer d'autorisation. Je pense néanmoins que cela peut se faire, et j'ai d'ailleurs des amis qui essayent actuellement de faire un documentaire sur le même sujet, ce qui, je pense, sera fascinant.

    Et ce sera un bon complément à votre film.

    Oui, on fera un double-programme (rires)

    Y a-t-il dans le film des situations que vous avez vous-même vécues ?

    J'ai vécu beaucoup des scènes que l'on retrouve dans le film. Il y a notamment celle où le père de Jayden [Kaitlyn Dever, nldr] ne vient pas pour son anniversaire, ce qui la fait exploser. Ce passage est basé sur l'un de mes souvenirs les plus mémorables quand j'étais dans un centre : un ado, alors que son père n'était pas venu pour son anniversaire, faisant comme s'il n'en avait rien à faire. Puis j'ai entendu sa porte claquer donc j'ai dû aller l'ouvrir moi-même, sauf qu'il l'a fait d'un seul coup.

    Donc je suis tombé et il s'est mis à me taper dessus. Il a donc fallu le maîtriser et, une heure plus tard, quand l'adrénaline était retombée, nous avons tous les deux eu une conversation très franche à ce sujet. Et ça là qu'il a pu évoquer des éléments de sa relation avec son père dont nous n'étions pas au courant. C'est donc très similaire à ce que l'on retrouve dans le film, au même titre que bon nombre des expériences que j'ai vécues et pu parsemer dans le récit.

    C'est drôle que vous mentionniez cette scène car c'est l'une de celles qui résume le mieux le ton du film, qui est à la fois dur et drôle. Vous a-t-il été difficile de trouver le bon équilibre ?

    Oui, on a l'impression de marcher sur une corde raide lorsqu'il s'agit de trouver un équilibre entre humour et tragédie. Mais c'était nécessaire pour nous de le faire, car c'est partie prenante de cet univers. Chaque interview que j'ai faite et histoire qu'on m'a rapportée était faite de beaucoup de moments tragiques, et d'autres plus optimistes. Certaines étaient horribles, bouleversantes mais aussi très drôles. Pour moi comme pour ceux qui travaillent dans des environnements aussi intenses, l'humour est vraiment important pour faire en sorte que les choses restent aussi légères que possible.

    Lorsqu'ils doivent maîtriser cette fille qui se débat et hurle des insanités, c'est très réaliste de voir les éducateurs faire preuve d'humour pour tenter de se vider l'esprit. C'est très important dans un environnement tel que celui-ci.

    "Les enfants étaient difficiles à trouver"

    Il se murmure que Brie Larson est la première actrice à laquelle vous avez envoyé le scénario. En quoi vous semblait-elle parfaite ?

    Il y a tellement de façons de répondre à cette question, car beaucoup de raisons font que Brie est parfaite pour ce rôle. Mais je pense que, entre les mains d'une autre actrice, Grace aurait facilement pu devenir un personnage déprimant à regarder. Il y a tellement de vie dans son regard qu'il est facile de la voir passer par des phases plus sombres sans que le film ne devienne déprimant pour autant. Ça me semblait vraiment très intéressant.

    Les acteurs qui jouent les ados sont également incroyables. Les trouver a-t-il été compliqué pour vous ?

    Oh oui. Les enfants étaient incroyablement difficiles à trouver. Quand je stresse la peau de mes mains a tendance à peler, et pendant ce casting, elle partait par lambeaux car ça me semblait quasiment impossible. Nous étions assis dans une pièce, comme vous et moi maintenant, avec une caméra, et les enfants passaient les uns après les autres pour lire des dialogues que je n'avais jamais entendu des acteurs jouer auparavant. C'était vraiment déprimant car j'avais l'impression d'avoir écrit des scènes qu'aucun adolescent ne pourrait jouer.

    Puis, comme par miracle, l'un d'entre eux entrait dans la pièce et me retournait l'esprit. Je ne me suis jamais retrouvé avec deux options pour n'importe lequel des personnages. Seul un des acteurs que nous avons auditionnés était capable de me faire pleurer et oublier que j'avais écrit la scène : Kaitlyn Dever, l'une des première personnes que nous avons vues pour le rôle de Jayden, m'a fait fondre en larmes ; la même chose est arrivée avec Keith Stanfield pour Marcus, Alex Calloway qui joue Sammy et dont la prestation consiste beaucoup à courir partout...

    Tous étaient très matures pour leurs âges, car ils n'ont pas besoin de se faire remarquer et jouer en exagérant. Ils traversent chaque scène à l'instinct, chose qu'on ne peut apprendre à personne.

    J'ai lu que Lars von Trier était une influence revendiquée. A quel niveau sur "States of Grace" ?

    Breaking the Waves a été mon introduction au cinéma international, et j'en ai eu mal au cerveau. La douleur est même restée pendant des semaines. Mais je me suis plongé dans sa façon de faire, qui est vraiment très inspirante : avant ça, mes films étaient très composés, méticuleux et planifiés à l'avance, et cette expérience m'a appris à plus faire confiance à ceux avec qui je travaille, en laissant plus de libertés aux acteurs et au chef opérateur. Le résultat est pour moi plus intéressant que si j'étais arrivé en essayant d'inclure chacun dans une boîte dont les plans étaient uniquement dans ma tête.

    J'ai également été inspiré par des documentaires que j'ai vus, qu'ils abordent un sujet proche ou non, car ils m'ont surtout servi sur le plan stylistique.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 31 mars 2014

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    La bande-annonce de "States of Grace" :

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