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    Oubliez les dinosaures : et si Jurassic World parlait avant tout... d’Hollywood ?

    "Jurassic World" est sorti en DVD, et les dinosaures sont de retour ! Mais ce nouvel opus est plus qu'une simple suite et surtout plus qu’un "film à dinos". Véritable hommage, il semble surtout en dire plus qu'il n'y paraît sur le monde du cinéma...

    Universal Pictures

    ATTENTION SPOILERS !!!

    Cet article aborde de nombreux points de l'intrigue du film, et notamment sa séquence finale. Il s'adresse uniquement aux visiteurs qui ont déjà exploré Jurassic World. Ceux qui n'ont pas encore acheté leur ticket pour le parc sont priés de ne revenir qu'après en avoir fait la visite complète.

    Vous voilà prévenus...

    Retour sur Isla Nublar

    Situé 22 ans après les évènements relatés dans le premier film de Spielberg, Jurassic World nous présente un parc en parfait état de marche, et qui nage enfin dans le succès dont avait rêvé John Hammond. Sa vision a fini par se réaliser, et des visiteurs du monde entier se pressent pour admirer les attractions préhistoriques d'Isla Nublar.

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    Mais cela ne suffit plus. Le public a fini par s'habituer aux dinosaures, et même le royal T-Rex ne déchaine plus les foules avec autant de force. Le grand mosasaure dans son bassin géant s'attire encore quelques ovations, mais il est temps néanmoins de pallier à la lassitude qui menace de réduire le nombre de visiteurs.

    Pour cela, l’équipe de Jurassic World met au point une toute nouvelle attraction : l'Indominus Rex, un tout nouveau spécimen croisé entre plusieurs espèces, censé proposer au public un spectacle sans précédent. Inévitablement, comme Ian Malcolm l’aurait lui-même prédit, l'Indominus Rex s'offre une vadrouille en-dehors de son enclos, par une belle journée ensoleillée où la fréquentation du parc est particulièrement élevée.

    Jurassic World, fan absolu de Jurassic Park

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    Très vite, Jurassic World s'impose avant tout comme une véritable déclaration d'amour au film de 1993. Son réalisateur, Colin Trevorrow, ne cache d'ailleurs pas son admiration pour Jurassic Park. C'est avec des étoiles dans les yeux qu'il évoque sa découverte du film à l'âge de 16 ans, et qu’il poursuit l'hommage sur grand écran.

    Ainsi, rares sont les séquences ou même les plans de Jurassic World qui ne font pas immédiatement écho à l'original. Le requin donné en pâture au mosasaure, comme autrefois la vache offerte aux raptors ; la grande double porte en bois flanquée de torches à l'entrée du parc ; les visages d'enfants terrorisés en gros plans (voir notre diaporama)...

    Même le tout premier "pré-teaser" du film, dévoilé quelques heures avant la bande annonce, n'était rien d'autre qu'un hommage, qui attisait l'impatience des fans avec un célèbre plan du premier film...

    Un hommage, oui. Assumé. Et même crié haut et fort. Mais pas seulement.

    Un méta-film…

    Dans Jurassic World, le constat de Claire Deaning, en charge de la gestion du parc, est simple :

    Les dinosaures faisaient rêver le public il y a 20 ans. Aujourd'hui, ils ne suffisent plus.

    D’où l’idée de proposer "plus gros, plus puissant, plus de dents" avec l’Indominus Rex. Un monstre dont le nom lui-même, s’affranchissant de toute inspiration scientifique, relève du marketing pur : court, efficace, impactant, facile à prononcer pour les enfants… et sans doute idéalement calibré pour un référencement sur Google et les réseaux sociaux. Un dinosaure que le staff du parc va même jusqu’à faire sponsoriser par une grande marque !

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    Bigger, stronger, badder… Plus gros, plus puissant, plus dangereux. Et surtout vendeur et marketable. L’adage qui va de mise avec toute suite et toute franchise à Hollywood. Et l’approche que doit emprunter Jurassic World lui-même, contraint d’inventer une nouvelle créature dépassant le T-Rex, les vélociraptors et le spinosaure. Et c’est précisément là où le monster-movie distille un méta-discours fascinant.

    … pour un portrait d’Hollywood ?

    En dénonçant un système qu’il doit lui-même perpétuer, le long métrage propose ainsi un regard pertinent et paradoxal sur l’industrie hollywoodienne. Pour comprendre, oublions les dinosaures, le grand spectacle et la musique de John Williams (pas évident, nous sommes d’accord !), et voyons le parc comme une métaphore d’Hollywood.

    En premier lieu, le choix de Colin Trevorrow au poste de réalisateur signifie déjà quelque chose. Au-delà de sa passion totale (sa dévotion, même) pour le film de Spielberg, le cinéaste est issu du cinéma indépendant : Jurassic World n’est ainsi que son deuxième film, après un Safety Not Guaranteed ne relevant fondamentalement pas du blockbuster de commande. Ce choix étonnant, là où un "yes-man" rompu à l’exercice aurait été plus attendu, est un premier aveu en soi.

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    En effet, qui de mieux qu’un réalisateur indé (et potentiellement hostile à la mécanique des Majors) pour instiller et dissimuler un regard critique au sein d’un tel blockbuster ? Une impression récemment confirmée par le désir de Trevorrow de ne pas rempiler pour la suite de Jurassic World. Trevorrow fait donc de ce film un projet plus personnel qu’il n’y paraît, développé main dans la main avec le "grand patron" Steven Spielberg.

    Spielberg, qui avait partagé sa vision d’Hollywood il y a deux ans en prédisant "une implosion le jour ou trois-quatre, voire une demi-douzaine, de ces films aux budgets énormes vont se planter, et le modèle va encore changer". Faut-il dès lors voir l'incident de l'Indominus Rex autrement que comme une illustration de ce bouleversement ? Et Colin Trevorrow comme un invité indispensable avec assez de distance pour critiquer une industrie au bord du gouffre ?

    Un blockbuster paradoxal

    Revenons au cœur du film. Si l’Indominus Rex est le nouveau blockbuster à la mode, qui est donc la gestionnaire du parc Claire Deaning (Bryce Dallas Howard), sinon une exécutive en charge de relancer et faire fructifier une franchise ? Uniquement intéressée par les coûts d’exploitation et le nombre de visiteurs du parc (parallèle évident aux entrées en salles), elle en oublie le bien-être des animaux (et la morale), justifiant à Simon Masrani, propriétaire-milliardaire (le patron du studio) qui l’interroge à ce sujet qu’elle ne dispose pas des éléments de mesure pour le quantifier. De la même façon, comment un exécutif quantifierait-il un "bon film", si ce n’est à travers son box-office censé rembourser un budget "dépensé sans compter" ?

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    Dans les coulisses du parc se trouvent les techniciens. Certains, cyniques, ont totalement adhéré à la logique mercantile et marketing de Jurassic World, à l’image de l’apprenti-sorcier Henry Wu qui ne fait que créer ce que lui demande le patron. Comme le font certains scénaristes, plus vraiment attachés à la qualité de leurs scripts et plutôt enclins à remplir des cahiers des charges et créer des histoires susceptibles de générer des entrées… et de vendre des produits dérivés.

    Il y en a d’autres, moins cyniques et nostalgiques du bon vieux temps "de la qualité" mais tout aussi complices du système, à l’image du "fan" Jake Johnson, dont le poste de travail est garni de vieilles figurines vintage de Jurassic Park et qui ne cesse d’exprimer ses doutes à haute voix tout au long du film. On pourrait sans mal les rapprocher des techniciens hollywoodiens chevronnés (notamment ceux en charge des effets visuels), désespérés de voir la direction que prennent les choses tout en y participant pleinement.

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    Enfin, il y a nous. Les visiteurs. Les spectateurs. Complices également de la surenchère. Un public blasé, qui ne s'émerveille plus, ne s'étonne plus. Un auditoire mondialisé qui réclame de nouveaux dinosaures, de nouvelles scènes d’action et de nouvelles explosions… tout en répétant que rien ne vaudra jamais l’original… tout en se précipitent au cinéma pour aller voir la suite… tout en se préparant à la lapider… parce que rien ne vaudra jamais l’original.

    Une position contradictoire et inconfortable. Comme celle des personnages. Comme celle de Colin Trevorrow. Comme celle de Steven Spielberg. Comme celle du film, véritable blockbuster paradoxal, qui concrétise à l’écran tout ce sur quoi il nous alerte. Et c’est là toute son intelligence, qu’on apprécie ou pas son premier niveau de lecture de "monster-movie".

    La première suite… affirmant que ‘rien ne vaut l’original’ ?

    Comme Jurassic Park il y a 22 ans, Jurassic World nous alerte donc sur une dérive. Elle a simplement changé… En 1993, Ian Malcolm et Alan Grant critiquaient le manque d’éthique liée aux manipulations génétiques d’InGen. Aujourd’hui, sous le même vernis écologique, l’avertissement s’adresse en réalité au cinéma. Et sans doute au monde médiatique en général.

    Le bilan esquissé n'est définitivement pas optimiste. Le film, en fait, serait carrément désespéré s'il ne se clôturait pas par cette mythique séquence finale, par ce choc des titans entre Indominus Rex et T-Rex, entre la suite gonflée aux dollars et le film original.

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    Aidé par quelques raptors (ces fans qu'on a essayé de domestiquer et d'utiliser pendant tout le film, mais qui se sont finalement révélés imprévisibles ?), le roi des dinosaures l'emporte sur le clone de laboratoire, pour finalement s'offrir un royal rugissement et par là-même rétablir l’ordre naturel des choses : non, définitivement, rien ne vaudra jamais l’original. C’est ce que Colin Trevorrow nous hurle à travers son plan final.

    Notons d’ailleurs que c’est Claire Deaning, "yes-girl" qui fini par s’émanciper du studio, qui ouvre finalement la porte au T-Rex, rétablissant ainsi les bons droits du "vrai cinéma". En véritable héroïne du film, n’est-elle pas l’incarnation de Trevorrow, qui rend à Jurassic Park ses lettres de noblesse ? Comme l’aurait dit Ian Malcolm :"Le cinéma trouve toujours un chemin."

    Selon vous, Jurassic World est-il une métaphore d’Hollywood ? Donnez-nous votre propre interprétation…

    Quand l'équipe de "Jurassic World" découvrait le film de Spielberg pour la toute première fois...

     

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