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    Bouli Lanners : Les Premiers, les derniers est "le film le plus important de ma carrière"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Les Premiers, les derniers réunit Albert Dupontel et Bouli Lanners sous la direction de ce dernier. Pour l'occasion, AlloCiné a rencontré les deux compères pour évoquer un film pas comme les autres.

    Wild Bunch Distribution - Kris Dewitte

    AlloCiné a rencontré le réalisateur belge Bouli Lanners et son acteur Albert Dupontel pour Les Premiers, les derniers, fable aux accents de western, de fantaisie et de fin du monde. Il raconte comment Cochise (Dupontel) et Gilou (Lanners), deux inséparables chasseurs de primes, sont à la recherche d’un téléphone volé au contenu sensible. Leur chemin va croiser celui d’Esther et Willy, un couple en cavale. 

    AlloCiné : Il s’agit de votre neuvième collaboration l’un avec l’autre. Comment votre rencontre sur un même plateau en 2002 s’est muée en une véritable complicité ?

    BL : Le cinéma génère des rencontres très fortes, car condensées sur peu de temps, on vit des aventures très puissantes. Et même si ces amitiés se créent et qu’on ne se voit pas tout le temps, l’amitié est sincère et réelle, et perdure dans le temps. (…) Avec Albert (…) on est très différents, mais on est poussés par les mêmes choses et travailler avec lui est un plaisir. Pour moi c’était Albert ou personne pour jouer Cochise. (…) Et Albert sur le plateau était complètement au service du film. Il est metteur en scène, il aurait pu vouloir s’en mêler mais il ne l’a jamais fait.

    AD : Bouli est un mec estimable, intelligent, sensible. Je l’ai effectivement rencontré sur le tournage d’un mauvais film, Petites misères, qui était une grosse erreur. J’ai tout de suite voulu l’avoir dans mes films car je trouve que c’est un acteur prodigieux. Un acteur qui s’ignore, qui se néglige et qui se préserve pour ses propres films.(…) On a entretenu le lien, et il m’a appelé il y a 18 mois et j’ai accepté sans rien avoir lu [du film].

    Vous utilisez certains archétypes et codes du western. Etes-vous parti du western pour construire votre film, ou est-ce venu sur le tard parce que cela s’alliait bien à l’ambiance de fin du monde que vous vouliez ?

    BL : Je voulais d’abord parler d’une ambiance de fin du monde. C’est la pierre d’achoppement du film, parler de ce sentiment crépusculaire, de fin du monde très pessimiste mais en allant vers quelque chose de très positif. Et puis d’avoir découvert ces décors dans la Beauce, qui rappelaient fortement le western, je me suis dit qu’on pouvait user des codes du western sans que ça fasse faux. Ça va bien avec le film, puisque Gilou et Cochise sont des chasseurs de primes, les personnages étaient proches des archétypes du western. Les décors aussi me le permettaient. Entre un western crépusculaire et un film noir. Car effectivement il y a de l’angoisse, mais liée aussi à cette ambiance de fin du monde.

    Kris Dewitte

    AD : Western crépusculaire c’est ce qu’on dit des westerns d’Eastwood d’il y a 20 ans, c’est un terme un peu cliché, qui est réducteur. [Les premiers, les derniers] est plus subtil. Bouli est un type qui est submergé de désespoir, mais qui est plein d’espoir. (…) Et c’est ce qu’on a [dans le film], ce monorail, ce vent, cette Beauce, et je peux vous dire que c’est encore pire en vrai ! C’est froid et tout aussi désolé (rires). Et puis il raconte que la seule lueur dans cette obscurité c’est l’être humain. L’homme a détruit la faune, mais c’est lui qui a la solution pour s’en sortir.

    C’est un film à la fois un peu angoissant, mais pas dénué d’humour ni de fantaisie. Diriez-vous que ces trois éléments caractérisent la personnalité de Bouli ?

    AD : Bien sûr, [ce film] est un condensé de Bouli, mais je pense qu’on fait tous ça dans nos films. Ce recul humoristique (…) qu’il a, mais aussi une montagne d’angoisse, et donc une hypersensibilité. C’est difficile de résumer quelqu’un, le résumer c’est déjà le réduire.(…) [Je le comprends. Et dans mon métier], on ne peut pas quatre fois par an être dans un regard qu’on aime bien. Sinon je tournerais beaucoup plus (rires). Je préfère peu manger mais bien manger plutôt que manger beaucoup et… J’ai peur de perdre le goût (rires).

    Avec votre complice Jean-Paul de Zaeytidj vous avez travaillé les ciels. On voit qu’ils sont toujours couverts de nuages, mais avec difficulté, le soleil arrive à poindre. Est-ce que c’est la petite note d’espoir que vous avez sur cette fin du monde ?

    BL : C’est la p’tite note d’espoir à l’image. Il reste un peu de soleil, et le film est plus lumineux à la fin qu’au début. Et puis les personnages sont lumineux, avec cet amour qui commence à se tisser, c’est la note d’espoir [de l’histoire]. La lumière vient de l’être humain, chez moi. Même si je suis croyant et que le film est empreint de spiritualité, je crois avant tout en l’homme et le salut est dans l’homme, pas du tout en Dieu. Et c’est ça que j’appelle Dieu, moi. Pour ce qui est de l’image, on a recomposé le ciel car pour la première fois j’ai tourné en numérique.

    Kris Dewitte

    Albert, vous jouez un type qui décide brusquement d’arrêter ce qu’il fait pour aider deux marginaux. Comment expliquez-vous le revirement psychologique de votre personnage ?

    AD : Cochise est ému par la détresse de son copain. Rien ne prédispose ces personnages à une quelconque sensibilité humanitaire ! Et d’un coup il note la détresse de son copain, ne la comprend pas, y réagit violemment, et soudain il voit que le copain ne va pas bien. Et chaque personne qui tombe malade ou qui vieillit se sensibilise et se dit que l’humanité n’est pas forcément ce que je regarde. Et Cochise voit son ami, un roc, [se fragiliser]. L’intérêt de son copain se porte sur deux personnages "décalées" et il y a alors conversion de cette énergie en altruisme, en regard, en écoute et c’est toute la vie de Bouli qui est résumée dans ce schéma psychologique.(…) Il absorbe toutes les souffrances de la Terre (…).

    C’est un film sur la maladie, un sujet qui vous touche personnellement et, sans rentrer dans des détails people, aviez- vous besoin d’exorciser quelque chose ?

    BL : J’avais besoin d’en parler car cette maladie m’obsédait et me mettait dans une réflexion qui était mortifère et qui plombait mon entourage. Donc j’ai trouvé intéressant le parallèle entre mon échéance à moi et l’échéance qui est donnée à la planète si c’est vraiment la fin du monde. C’est ce que croit [le personnage de] Willy. Car ce n’est pas un film sur la fin du monde, c’est un film sur l’idée que la fin du monde est là.

    Et ce film, que je pensais à un moment être mon dernier, m’a fait reprendre goût à la vie et au fait de faire du cinéma. C’est donc vraiment un film charnière, je suis mis à nu, je suis vraiment devenu le personnage de Gilou et une telle mise à nu, ça ne se fait qu’une fois. En ça, je pense qu’il s’agit du film le plus important de ma carrière, et qu’après je vais pouvoir passer à des choses différentes.

    Wild Bunch Distribution

    Le film parle aussi de la vieillesse, du temps qui passe. On pense à cette voiture usée que Suzanne Clément propose à Cochise en lui disant qu’elle tombe souvent en panne mais qu’elle redémarre si on la pousse. Comme pour dire « comme les gens qui prennent de l’âge, elle peut encore servir, même si elle a des coups de mou ». La vieillesse est un sujet sur lequel vous vouliez vous exprimer ?

    AD : Si vous ne voulez pas parler de la vieillesse, la vieillesse parlera de vous (rires). Parfois je me surprends d’être en bonne forme et "si vieux".(…) En gros Bouli dit que des gens décalés comme les personnages de David et d’Eleonore ou très âgés comme Max et Michael. L’humanité ce n’est que ça. Et Bouli se met au milieu et dit "je vais vous parler un peu des uns et des autres". Face à la mort, il va faire parler des gens qui en sont plus près et face à la violence, en protéger ceux qui peuvent en être les victimes. C’est tout le débat compassionnel de Bouli dans l’existence, et qu’il aborde dans ses films.(…)

    BL : C’est ce que dit [le personnage de] Michael Lonsdale : "Vivre, ce n’est pas que respirer". Et c’est pour cela que le contact de Gilou avec quelqu’un de plus âgé (…), qui s’inscrit dans la vie de façon plus permanente (…) est son déclic.

    Ça et le fait d’aider ces deux marginaux, qui va donner un sens à sa vie à ce stade.

    BL : Exactement. C’est grâce Michael Lonsdale que la réflexion que se fait sur « oui, il faut continuer à vivre » (…) et l’acte qui symbolise son retour à la vie c’est quand il va s’occuper d’Esther (…).

    Ce couple de marginaux, ce sont les "premiers", du titre ?

    BL : Pour moi ce sont les premiers, oui, c’est le fantasme que j’ai des premiers hommes, avec une espèce de pureté (…). Je m’intéresse beaucoup à l’Histoire et au néolithique. Donc ça me rassure que nous ne soyons pas différents des premiers. D’autant qu’on est peut-être les derniers. Et ce qui nous relie à eux, c’est cette volonté viscérale de recréer un cocon familial, quelque chose de l’ordre du clan, mais fait de rapports humains, et d’amour.

     "Les Premiers, les derniers", dès mercredi en salles :

    Propos recueillis à Paris par Corentin Palanchini le 21 janvier 2016.

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