Mon compte
    Les Sauvages : "Une saga familiale sur fond de questions politiques"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Un mois à peine après la sortie de son dernier long métrage, "Une fille facile", la réalisatrice et scénariste Rebecca Zlotowski est déjà de retour avec un nouveau projet, pour la télévision : la nouvelle création originale de Canal+, "Les Sauvages".

    CPB FILMS/ SCARLETT PRODUCTION /CANAL+

    AlloCiné : Il y a plein de termes qui viennent en tête lorsqu’on veut évoquer votre série Les Sauvages... Il y a du romanesque, il y a de la dystopie, il y a de la politique… Pour quelqu’un qui serait curieux de découvrir la série ce soir, comment la décririez-vous ?

    Rebecca Zlotowski, réalisatrice et coscénariste : Alors, je dirais : Paris, de nos jours. Le premier président d’origine algérienne est sur le point d’être élu, victime d’un tireur. Cela plonge sa famille et celle de son gendre dans un embrasement à l’image de la France. Ce sont six jours dans la vie des Français entre cet événement et possiblement l’investiture de ce président qui peut tout changer, tout réunir, tout réconcilier. C’est ce chemin difficile.

    Quand je dis dystopie, je dis que c’est aujourd’hui. Mais la dystopie est dans le sens où on n'y est pas encore. C’est une espèce de clin d’œil malicieux pour dire que – hélas –, on n’y est pas encore. Il y a deux familles qui n’ont pas le même schéma et qui redéfinissent le grand récit français et c’est en cela que l’on parle de romanesque.

    Un souffle romanesque, shakespearien, tragique... Dostoïevskien si on veut se la raconter !

    Il faut réinvestir ces deux familles d’un romanesque français et auquel elles n’ont plus accès. En gros, c’était soit La Graine et le mulet, comment on est regardé par un cinéaste comme Kechiche, c’est-à-dire avec une part sociale, assez ancrée du côté du prolétariat, alors qu’une famille arabe française, ça peut être un ancien prof de Harvard, sa fille normalienne agrégée, et sa femme chef d’orchestre. On en est quand même là aujourd’hui... C'est une série réparatrice, sur la question des Français d’origine algérienne. Mais avec un souffle romanesque, Shakespearien, tragique... Dostoïevskien si on veut se la raconter ! On y va plein pot ! C’est une saga familiale sur fond de questions politiques.

    CPB FILMS/ SCARLETT PRODUCTION /CANAL+

    La question du cynisme est intéressante aussi. Contrairement à d’autres séries politiques, vous avez évité cela…

    Oui, ça me tenait très à cœur, et Sabri Louatah [auteur des livres dont est adapté la série, et coscénariste de la série] m’a suivi là-dessus. Pourtant, en terme de story-telling, c’est toujours payant, le complot. C’est d’ailleurs pour ça que je pense que la théorie du complot est si partagée sur les réseaux sociaux, chez les gens qui ont un accès à la culture uniquement par l’image : avec la série américaine, l’impérialisme américain des années 60 à 80, on nous a martelé la pensée du complot. Mais c’est génial quand c’est chez Alan J. Pakula, sauf que c’est dangereux quand ce n’est que ça.

    L’idée était de mettre effectivement complètement de côté le cynisme que le monde politique peut susciter aujourd’hui

    Donc ça me tenait très à cœur de mettre de côté qu’il y avait un complot. Ca devait rester des actes pensés dans le cerveau de quelques personnes auxquelles j’aurai eu accès, qui sont visibles, dont je comprends le trajet. Et la politique était une politique faite par des gens qui y croient. C’était l’idée de mettre effectivement de côté complètement le cynisme que le monde politique peut susciter aujourd’hui. Et pas que. Ce sont des familles dans lesquelles on s’aime, où il y a deux frères qui se détestent mais on essaye de le faire d’une manière compréhensible aussi.

    Bestimage

    Après quatre longs métrages, comment avez-vous appréhendé le fait de réaliser et coscénariser une série ?

    Ce n'est pas très différent, parce que notre mode de fonctionnement est le même. On ne le renverse pas. Dans le rapport aux acteurs par exemple. C’est plutôt le monde en face qui change. La différence dans un lien avec un acteur sur un long métrage et une série, c’est que vous n’avez pas la même temporalité. Chaque acteur, puisque c’est un peu plus choral par nature de la série, ne s’imagine pas être le seul responsable de l’édifice, donc c’est aussi en termes d’humilité pour arriver sur un plateau, et de questionnements, de mise en avant de soi-même, de doutes ou de craintes. Il se sent, dans le meilleur sens du terme, « backé », épaulé, en solidarité avec d’autres acteurs. Il se dit : ce n’est pas moi qui fait tout. Donc il y a un rapport qui est différent avec les acteurs.

    Ensuite, ce qui m’a amenée à la série, c’est que j’appartiens à ma génération. J’ai été une spectatrice de séries, depuis très longtemps. Je me souviens de la chaine Canal Jimmy, que j’avais sur le câble. C’était autant depuis Seinfeld, la grande série comique sitcom, que Friends… La sitcom, c’est vraiment ma culture. Ensuite, le feuilleton, la série des années 80, pareil, dont on voyait les rediffusions, aux grandes séries de l’âge d’or des années 90 : des Sopranos, The Wire, Sex and the city... cette série a été très importante pour moi. Ce sont des séries que j’ai vu in extenso, j’en étais cliente. J’allais dire consommatrice, mais ça nous amène ailleurs. J’en étais amatrice en tout cas.

    Ce qui m’a emmené vers la série, c’est de passer du temps avec des personnages

    Autant aux Etats-Unis, les cinéastes font de la série parce qu’ils expérimentent un peu l’espèce de liberté que nous on a en tant que cinéastes en France. Tandis que nous, les cinéastes français, on est tellement libre dans ce qu’on a envie de faire. On est tellement auteurs de bout en bout... On a même les financements pour le faire. (...) On n’a pas besoin de faire de la série pour se sentir libre, donc c’était autre chose qui devait nous y amener. Et moi ce qui m’y a emmené, c’est de passer du temps avec des personnages. C’était cette loyauté envers chaque personnage. Ca me donnait d’autres idées, ça me donnait la possibilité d’avoir plusieurs lieux, des décors différents. Ce n’était pas uniquement une série qui part à Saint Etienne. Donc c’était l’idée de ne pas avoir à faire des choix là où le cinéma m’aurait demandé de faire des choix très forts, très puissants. Il y avait une espèce de gourmandise, de plaisir là-dessus. 

    Le teaser de Les Sauvages, nouvelle création originale Canal+ dont la diffusion commence ce soir :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet le 11 juillet 2019 à Paris

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top