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    Il a Déjà tes yeux sur France 2 : "une série sur la famille et sur la France" pour Lucien Jean-Baptiste
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Rencontre avec le créateur et réalisateur de la série, suite directe du film du même nom sorti en 2017 et dont la diffusion démarre ce soir à 21h sur France 2.

    Jean-Claude Lother/ FTV

    Trois ans après la sortie d'Il a déjà tes yeux au cinéma, vous avez choisi de reprendre son histoire avec un saut dans le temps de plusieurs années. Les enfants du couple Aloka sont désormais adolescents. Pourquoi avoir fait ce choix ? 

    Lucien Jean-Baptiste : Vous savez, moi j'ai jamais eu envie de faire de suite, ou de série. Aucun snobisme là-dedans, je ne savais pas faire de série. Quand on voit tout ce que les américains font et qu'on me demande six épisodes, je me dis "olala"... Ce sont les producteurs du film, Ivan Sadik (Ango Productions) et Mathieu Ageron (Nolita Films) qui sont venus me voir pour me soumettre l'idée, et ensuite j'ai été supervisé par France Camus qui travaille chez France 2. Donc je me suis enfermé avec Sébastien Mounier, très important de le rappeler parce qu'on oublie de mettre en avant les auteurs en France, et on s'est dit "qu'est-ce qu'on fait ?" Brainstorming, on réfléchit, et puis tout doucement le fruit d'une réflexion a émergé. Je me souviens avoir suggéré que Benjamin ai grandi et qu'ils aient eu un enfant naturellement, ce qui arrive souvent dans l'adoption. Ensuite, j'aime bien nourrir la fiction de choses très personnelles, ça m'aide à tenir. Ça me fait du bien aussi : je n'ai jamais connu mon père, donc je me suis imaginé que le père [du personnage de Paul] revenait, et que par effet de ping-pong ça allait déclencher l'envie du fils de chercher ses parents biologiques, et c'était parti ! On s'était même dits avec Sébastien qu'on aurait pu faire un deuxième film plutôt qu'une série. Mais Sébastien m'a rétorqué : "comme tu es bavard, c'est bien que tu aies six heures de programme pour dire tout ce que tu as à dire !"

    Que vouliez-vous raconter dans cette suite ?

    C'est plus une série sur la famille et sur la France au final, parce que notre titre de travail c'était "Une Famille française." Et avec cette famille, on va vivre les problèmes et le quotidien de nombreux français. Eux ont quand même deux dossiers bien importants : recréer des liens avec le père, et retrouver les parents biologiques. Mais ces deux axes très forts vont nous permettre de parler d'immigration, de la parentalité, du travail des femmes, de l'invasion numérique... Je me suis vraiment bien amusé. Comme j'ai un peu un avis sur tout, j'ai pu m'exprimer ! (rires)

    Donc vous n'avez plus peur des séries désormais ?

    Oui, maintenant je saurai qu'on a pas beaucoup de temps imparti et qu'il faut écrire en fonction de ça aussi. Le tournage a aussi été très éprouvant. Mais heureusement il y avait Sébastien, qui lui avait déjà écrit une série (Ad Vitam, ndlr) et qui arrivait à faire le lien. Parce que moi j'étais perdu par moments, dans la mesure où la construction de 6 épisodes est très différente de l'élaboration d'un long-métrage : il faut garder du suspense, amener les différentes intrigues et sous-intrigues, en garder sous le pied... Mais on y est arrivés, et je suis tellement fier de cette série, et surtout heureux du travail de tous ceux qui y ont participé. Mais vraiment tout le monde, du producteur au responsable de la fiction de France TV, de l'équipe, du travail des deux monteuses... J'ai l'impression que ce n'était pas qu'une série en plus. C'était presque historique, des Noirs à 21h à la télévision oui d'accord, mais il y a eu un vrai attachement pour cette famille, et tout le monde voulait se défoncer pour que cette histoire existe. 

    Jean-Claude Lother/ FTV
    J'ai l'impression que ce n'était pas qu'une série en plus. C'était presque historique, des Noirs à 21h à la télévision oui d'accord, mais il y a eu un vrai attachement pour cette famille, et tout le monde voulait se défoncer pour que cette histoire existe.

    Comme vous le soulignez, on manque de diversité dans la fiction française, et surtout d'acteurs Noirs dans des rôles principaux. Vous êtes un peu les premiers à la télévision...

    Oui ce sont les premiers ! Mais vous savez, quand j'ai fait La Première étoile, les gens me disaient "tiens des Noirs qui vont au ski, c'est drôle !" Et moi je leur disais - parce que je suis pas idiot - oui, ok, évidemment que c'est drôle, mais c'est surtout l'histoire d'un père qui a fait une promesse à ses enfants, et il a plutôt intérêt de la tenir ! Et j'ajoute à ça qu'une fois de plus j'y parle de moi car je n'ai jamais connu mon père, alors j'ai imaginé un père nul, mais présent. Vendu comme ça, évidemment les gens n'ont pas envie de voir cette histoire, mais par contre des Noirs au ski, là oui ! Et de la même manière dans la série, le sujet de fond c'est un homme à la recherche de son père, et un enfant à la recherche de ses vrais parents. Après oui, il y a de la mélanine. (rires)

    L'équipe originelle du film a-t-elle accepté de vous suivre facilement pour la série ?

    Oui oui, ils ont bien besoin de travailler ! (rires) Evidemment, le premier tournage s'était tellement bien passé... J'y ai même fait un petit clin d'oeil au film, je vais vous donner une anecdote : le petit Marius Benchenafi, qui jouait Benjamin bébé dans le long-métrage, joue un petit rôle dans la série, et sa vraie maman aussi. A vous de trouver où ! 

    C'est un peu une tradition pour France 2 de proposer des séries familiales ; Fais pas ci fais pas ça, Parents Mode d'emploiFaites des gosses plus récemment... En quoi Il a déjà tes yeux serait différente des autres ? 

    La couleur, déjà ! (rires) Je crois que la thématique initiale de l'adoption est centrale. Qu'est-ce qu'une famille ? Qu'est-ce qui définit une famille ? Pourquoi un personnage comme Manu n'y arrive pas, comme beaucoup de gens ? En ces temps de débat de société, je mets les pieds dans le plat. A un moment dans la série il y a ce couple homoparental qui a une petite fille. Je me suis inspiré de mes voisins pour eux, je m'inspire de tout ce qu'il y a autour de moi. Ils ont fait une GPA pour avoir leur fille, et cette fille est heureuse comme tout ! Après je ne prends pas position, je soumets ça au public. Je parle d'immigration aussi, tous les débats qu'on a actuellement, cette famille nous emmène là-dessus. C'est une cartographie de la France en ce moment. 

    Quel constat faites-vous du manque de diversité et de représentation dans le domaine culturel aujourd'hui en France ?

    Ça va venir ! C'est sûr que dans le football ou le rap,  on est tranquilles. (rires) Ça va être long, mais regardez : les femmes ont eu le droit de vote il y a à peine soixante-dix ans, elles n'avaient pas le droit de signer un chèque... Il a fallu créer des lois sur la parité pour que les femmes soient représentées. Tout ce travail, et bien c'est la même chose pour les Noirs ! Et pas que les Noirs j'entends, je parle de tous les gens considérés comme "minoritaires" par une espèce d'entité, par le "mâle blanc"... Il faut laisser les gens s'exprimer, mais il faut aussi que les gens s'expriment ! Quand j'emmène mon fils au football il y a tous les pères africains, maghrébins dans les tribunes, par contre quand j'emmène ma fille au théâtre, il y a plus personne. Mais en même temps, c'est peut-être le problème du chien qui se mord la queue : j'ai découvert le métier de comédien très tard parce que pendant des années j'ai cru que ce n'était pas pour moi, parce que je ne voyais pas d'acteurs noirs. Mais en vérité non, n'attends pas d'en voir, t'en verras jamais, donc vas-y ! Crée ton truc. D'ailleurs pour le football, je réglerai le problème en créant des équipes mixtes. Cinq filles, cinq garçons, terminé ! Ce serait tellement simple. Et dans les buts vous faites comme vous voulez. (rires) Mais le progrès viendra, avec le temps !

    Propos recueillis le 16 janvier 2020 à Paris

    Découvrez la bande-annonce d'Il a déjà tes yeux - la série :

     

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