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    The Perfect Candidate : rencontre avec la réalisatrice Haifaa Al Mansour, remarquée avec Wadjda
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après "Wadjda", premier film en Arabie saoudite, réalisé par une femme, Haifaa Al Mansour revient avec "The Perfect Candidate", en salles ce mercredi. Nous l'avons rencontrée à Paris quelques jours avant l'annonce du confinement.

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    L'histoire : Maryam est médecin dans la clinique d'une petite ville d'Arabie saoudite.

    Alors qu'elle veut se rendre à Riyad pour candidater à un poste de chirurgien dans un grand hôpital, elle se voit refuser le droit de prendre l’avion. Célibataire, il lui faut une autorisation à jour signée de son père, malheureusement absent.  Révoltée par cette interdiction de voyager, elle décide de se présenter aux élections municipales de sa ville. Mais comment une femme peut-elle faire campagne dans ce pays ?

    AlloCiné : Depuis que Wadjda est sorti, vous avez eu d’autres expériences comme Mary Shelley tourné en langue anglaise à l’étranger. Avec The Perfect Candidate, vous revenez à un film plus proche de Wajda. Comment compareriez-vous les expériences que vous avez eues, par exemple, entre ce film et Mary Shelley ? Pourquoi avez-vous envie de revenir dans votre pays ?

    Haifaa Al Mansour, réalisatrice : D’abord, ma mère me manquait. Cela faisait du bien de revenir chez soi, et aussi de raconter une histoire qui m’était personnelle. Je connaissais la langue, les gens, la nourriture… Il y a toujours quelque chose de spécial de raconter une histoire depuis l’Arabie saoudite. Lorsque je suis dans ce pays, je travaille avec des acteurs non-professionnels, et c’est presque documentaire car vous vous rendez dans un endroit pour capturer ce que vous voyez et apprenez à ces acteurs non professionnels à s’ouvrir devant la caméra. Il y a quelque chose de spécial et d’intime.

    J’essaye toujours d’apporter un peu de vie, de vraie vie. C’est comme s’ouvrir. Mais le fait de travailler à l’Ouest était incroyable aussi. Mais ce pour quoi j’ai été extrêmement reconnaissante, c’est d’avoir été engagée pour mon cœur. Quand vous venez d’une culture conservatrice, vous craignez toujours d’offenser les gens, de faire des choses qui pourraient exposer les gens. J’étais très reconnaissante de la liberté que j’ai eu en tant qu’artiste en travaillant à l’Ouest. J’ai vraiment apprécié cela.

    Pour The Perfect Candidate, qu’est ce qui était le point de départ de cette histoire ? Etait-ce en partie autobiographique ?

    Il y a beaucoup de choses autobiographiques. J’ai grandi en Arabie saoudite quand la musique n’était pas autorisée. Ma mère adorait chanter mais elle vient d’un milieu conservateur, pas elle, mais la famille autour d’elle. Elle n’aurait jamais eu le droit de devenir une chanteuse. Mais il lui arrivait de chanter pour ses proches, et c’était comme une diva. Elle n’était pas une chanteuse professionnelle, elle ne le faisait pas pour l’argent, mais c’était comme si elle était une chanteuse de métier. Elle donnait vie à votre fête. La fête commençait quand elle arrivait ; on ne remarquait qu’elle !

    En tant qu’enfant, j’étais gênée, et ça m’énervait car je voulais pouvoir m’intégrer comme tout le monde. Mais ça m’a appris ce que c’était d’avoir ses propres valeurs, et de rester fidèle à ces valeurs. Vous devez les cultiver et avoir votre personnalité. C’est pour cette raison que je voulais faire ce film basé sur des expériences similaires. Je viens d’une famille de 12 enfants et mon père est très progressiste. Il n’a qu’une femme. Il vient d’une petite ville. Il est très libéral, il n’a jamais cru dans la polygamie. Il a une femme mais beaucoup d’enfants. J’ai de très bonnes relations avec mes sœurs qui sont très différentes (l’une est docteur, était très bonne élève ; l’autre est une artiste…) et très inspirantes. C’est important de développer une sororité, de se soutenir les unes les autres, même si l’on est différentes. Pendant longtemps, les opportunités étaient limitées pour les femmes, et on avait tendance à opposer les femmes entre elles. On doit changer cela et créer une forme de solidarité. Etre ensemble. 

    Vous avez dit un peu plus tôt qu’une partie du casting était non-professionnel. Mais il y a aussi des personnalités connues…

    Mila Alzahrani (Maryam) est une star de la télé. J’avais déjà vu un peu de son travail passé et je l’appréciais beaucoup. Le rôle de Selma a été compliqué à trouver car il doit être assez fun. Nous avons trouvé Dae Al Hilali, une influenceuse sur Instagram qui poste de petits sketchs. La comédie est complexe, nous n’avons pas beaucoup d’humoristes femmes. Il faut savoir rire de soi et en avoir le courage. Ce n’est pas facile. Mais elle m’a bluffé à l’audition. Elle ne se prenait pas au sérieux.

    En tant que femmes arabes, musulmanes, on nous demande tout le temps d’être conscientes du monde : ne faites pas ça devant les gens... On nous demande énormément d’efforts dans la façon dont on se présente. Ces femmes ne sont pas pareil en public que quand elles sont chez elle. Quand nous sommes à l’extérieur, on nous demande d’être réservées. De franchir cela était incroyable de sa part. C’était donc sa première expérience d’actrice, et là elle commence à devenir célèbre et on la demande pour des projets télé, etc. donc elle est vraiment contente.

    Le film a été présenté au Festival de Venise. Comment a-t-il été reçu ?

    Une partie du public venait d’Arabie saoudite à Venise, et étaient progressiste donc ils ont adoré l’histoire et la musique. Ils étaient fiers d’avoir un film qui revenait en Arabie saoudite. Mais je pense que les gens l’aimeront dans le pays, même s’il y aura toujours des conservateurs ici et là pour dire qu’ils ne veulent pas de réalisatrices. Mais il y a une évolution. Le cinéma est accepté en Arabie saoudite maintenant, et plus qu’avant. Mais on doit continuer à se développer et cultiver des profils de cinéma.

    Beaucoup voit des films de super-héros, Marvel, mais pour eux c’est une expérience différente de voir un film venu d’Arabie saoudite. J’aime faire des films qui sont divertissants. Je suis attachée à l’expérience de la projection, d’autant que quand j’ai grandi, il n’y avait pas de films en Arabie saoudite. Je n’ai jamais pris le public pour quelque chose d’acquis. Mon approche du cinéma est d’être quelqu’un qui divertit. Si j’écris quelque chose de drôle et que les gens rient, je me sens très accomplie. Ce contact avec le public est ce qui me donne envie de faire ce métier et me procure beaucoup de satisfaction.

    Quels sont les réalisateurs qui vous inspirent ?

    Quand j’étais enfant, mon père voulait toujours boire le café et lire le journal. Mais nous étions des enfants très turbulents. Alors il louait des films pour nous, qui n’était pas du grand cinéma, très mainstream. Nous étions dans une petite ville donc notre monde était très petit. Mais de regarder ces films me donnait l’impression que j’appartenais au grand monde et c’est ainsi que je suis tombée amoureuse du cinéma. Mes inspirations en tant qu’enfant n’était pas du grand cinéma. Je suis un peu gênée car ce n’était que du cinéma américain très mainstream ou des films asiatiques, d’arts martiaux ou de Bollywood !

    En grandissant et en sachant que je voulais faire des films, j’ai commencé à apprendre un peu plus et j’ai notamment découvert le cinéma français. Il n’y a pas de réalisateurs en particulier, mais le néoréalisme italien est inspirant. De capturer un lieu tel qu’il est comme je le fais quand je retourne en Arabie saoudite. Saisir cette tranche de vie. Je trouve ça très riche.

    Vous êtes la première femme réalisatrice de votre pays, l’Arabie saoudite. Dans quelle mesure pensez-vous que vos films ont changé ceux qui les ont vu ?

    Je me vois comme une artiste, peut être pas directement comment pouvant provoquer des changements mais plutôt créer une atmosphère au sein de laquelle un changement peut se produire, dans laquelle les gens sont détendus pour découvrir un film et en discuter, être ouverts d’esprit. Et je pense que c’est ce que provoque l’art en général, qui favorise ce changement. Changer les valeurs des gens, leur donner un exemple de succès, et peut être inspirer quelqu’un de faire quelque chose.

    C’est ainsi que je vois mon art, et j’espère que j’arriverai à faire des films qui sont montrés en France, c’est important pour nous d’avoir un film qui voyage dans tous ces endroits. J’espère inspirer des jeunes filles à faire des choses en lesquelles elles croient et ne pas forcément faire ce que la société attend d’elles, ou ce pour quoi on leur met la pression.

    Avez-vous déjà rencontré des jeunes filles qui vous ont dit qu’elles avaient été inspirées par votre parcours ?

    Oui, absolument. Je rencontre beaucoup de jeunes réalisatrices qui m’ont dit qu’elles voulaient raconter des histoires à travers le cinéma. Quand j’avais fait l’avant-première de mon film The Perfect Candidate à Venise, il y avait une autre femme venue d’Arabie saoudite pour présenter son film. Il y a une excitation pour raconter des histoires mais je pense que l’industrie du cinéma en Arabie saoudite est toujours en développement. Nous n’avons pas beaucoup de personnes qui sont formées pour porter l’industrie, que ce soit des réalisateurs, mais aussi des scénaristes, des musiciens, des costumiers, directeurs photo...

    Il y a encore plein de choses qui ont encore besoin d’être développées. Mais je pense que ce qui se passe en Arabie saoudite est très important. L’Arabie saoudite a traversé une très longue phase, de peut être trois décennies, avec beaucoup d’idéologie conservatrice, excluant les femmes et l’art de l’espace public. Maintenant on voit plus de libertés sociales accordées aux femmes qui peuvent à présent conduire, voyager seules… Il y a beaucoup de concerts, de musique, d’art, et il y a désormais des aides publiques pour le cinéma. C’est important car cela créé des bases pour la culture et notre civilisation. Avec de la chance, on devrait voir des changements à long terme, changer les valeurs et avoir plus de tolérance.

    The Perfect Candidate
    The Perfect Candidate
    Sortie : 12 août 2020 | 1h 45min
    De Haifaa Al Mansour
    Avec Mila Alzahrani, Dae Al Hilali, Nourah Al Awad
    Presse
    3,3
    Spectateurs
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    Propos recueillis à Paris le 9 mars 2020

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