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    Zero Dark Thirty sur Arte : un film qui a embarrassé le Pentagone et la CIA
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    Sorti en janvier 2013 en France, Zero Dark Thirty a mis dans l'embarras le gouvernement américain et notamment la CIA. Explications.

    Réalisé par Kathryn BigelowZero Dark Thirty relate la traque d'Oussama Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines. Pendant une dizaine d'années, l'ex leader du groupe terroriste Al-Qaïda a été l'objet d'une chasse à l'homme sans précédent.

    Mis en scène avec un réalisme confondant, le film a bénéficié des conseils de l'ancien patron de la CIA, Leon Panetta (campé par James Gandolfini). Ce dernier aurait toutefois été trop précis dans les éléments fournis, dévoilant tout un pan de dossiers classés Secret Défense.

    Selon une enquête de l'inspection générale du Pentagone, Panetta aurait révélé des fichiers militaires top secret au scénariste Mark Boal, suscitant une vive polémique. Il aurait fourni des détails secrets sur l'opération qui a abouti à la mort de Ben Laden lors d'une cérémonie organisée au siège de la CIA en l'honneur de ceux qui avaient pris part à cette traque.

    Zero Dark Thirty
    Zero Dark Thirty
    Sortie : 23 janvier 2013 | 2h 29min
    De Kathryn Bigelow
    Avec Jessica Chastain, Jason Clarke, Joel Edgerton
    Presse
    4,1
    Spectateurs
    3,9
    louer ou acheter

    Selon le rapport d'enquête, Mark Boal était présent pendant cette célébration au cours de laquelle Leon Panetta a identifié précisément l'unité qui avait mené le raid. L'ex directeur de la CIA aurait aussi donné le nom de celui qui dirigeait les opérations sur le terrain, note le rapport, qui évoque aussi d'autres informations classifiées révélées par M. Panetta à cette occasion. Cette enquête de l'inspection générale avait été demandée par l'élu de New York Peter King, alors président de la commission de la Sécurité intérieure à la Chambre des représentants.

    L'élu républicain accusait l'administration Obama de chercher à faire valoir sa principale réussite de politique extérieure, l'élimination du chef d'Al-Qaïda, dans la perspective de la campagne présidentielle au cours de laquelle Barack Obama briguait un second mandat (le film est finalement sorti en janvier 2013, soit après cette échéance électorale, histoire notamment de repousser toute accusation à ce propos).

    Ces révélations qui ont embarrassé la CIA et le Pentagone concernaient surtout les méthodes utilisées pour obtenir des renseignements. En effet, le long-métrage nous plonge dès le début dans une scène de torture à base de waterboarding (faire suffoquer le suspect interrogé avec de l'eau, sorte de simulacre de noyade). Tout au long du film, les agents de la CIA n'hésitent pas à user de techniques controversées pour faire parler leurs ennemis (collier de chien, musique en continu pour empêcher de dormir etc...).

    Selon Mathieu Guidère, spécialiste d'Al-Qaïda, interrogé par France Info, "personne ne conteste la question de la torture, mais ce qui fait polémique c'est le fait de dire que les informations qui ont amené à retrouver Ben Laden ont été obtenues sous la torture. On sait que les informations cruciales n'ont pas été obtenues sous la torture, donc c'est ce raccourci-là qui pose problème", explique l'expert.

    La principale intéressée, Kathryn Bigelow, a également réagi dans une tribune pour le Los Angeles Times"Je me doutais qu'il y aurait une grosse polémique, mais je ne me doutais pas de la violence des réactions. Dans un monde idéal, j'aurais préféré que la violence se tourne vers ceux qui ont autorisé la torture, plutôt que vers un film qui ne fait que la représenter. Les experts ne sont pas d'accord sur les faits et détails de la traque de Ben Laden menée par les services de renseignement et le débat va sans aucun doute se poursuivre", a contre-attaqué la cinéaste.

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    À l'époque directeur par intérim de la CIA, Michael Morell a tenu aussi à apporter son point de vue sur la question : "Zero Dark Thirty crée la forte impression que les techniques d'interrogatoire renforcées, qui faisaient partie de notre ancien programme de détention et d'interrogation, ont été des éléments clés pour trouver Ben Laden. Cette impression est erronée. Le film prend des libertés considérables en dépeignant les agents de la CIA et leurs actions et ne peut en aucun cas être considéré comme un documentaire", précise-t-il.

    Trois sénateurs américains, les démocrates Dianne Feinstein et Carl Levin, et le républicain John McCain, sont aussi montés au créneau pour critiquer les prises de position du long-métrage : "Nous pensons que le film est grossièrement imprécis et trompeur dans sa suggestion que ce sont les informations obtenues par la torture qui ont permis de localiser Oussama Ben Laden. Avec ce film la réalisatrice et la production pérpetuent le mythe que la torture est efficace. Vous avez une obligation sociale et morale de rendre compte des faits exacts", reprochaient-ils au studio Sony Pictures. "Nous sommes inquiets, étant donné la coopération de la CIA avec les réalisateurs et la similitude du scénario avec des déclarations erronées d'anciens responsables de la CIA, que l'équipe du film ait pu être trompés par des informations fournies par la CIA."

    Toutefois, de nombreux spécialistes affirment que long-métrage reste très authentique. Dans ce cas, dans quelle mesure Kathryn Bigelow a-t-elle été épaulée par le gouvernement ? Quel a été le vrai rôle du Pentagone et de la CIA dans les éléments fournis à la production ? Phil Strub, ex boss de la cellule chargée d'assurer la liaison avec l'industrie du cinéma, avait notamment confirmé une rencontre entre la réalisatrice, le scénariste Mark Boal et le responsable des opérations spéciales de la CIA. Il assurait toutefois que l'aide s'était arrêtée là.

    En effet, depuis la fin des années 20, une cellule spéciale des renseignements américains est chargée de travailler avec l'industrie du cinéma. Le but est d'apporter tout soutien qui pourrait amener de l'authenticité dans les films historiques, que ce soit en termes de décors ou de costumes par exemple. Zero Dark Thirty a-t-il bénéficié d'un passe-droit lui permettant d'élargir ces aides ? La question reste en suspens. En tout cas, ça n'a pas empêché l'Académie des Oscars de le nommer pour 5 distinctions : meilleur film, meilleure actrice, meilleur scénario original, meilleur montage et meilleur montage sonore. Il remportera d'ailleurs cette dernière statuette. Quant à Kathryn Bigelow, elle était absente de la catégorie réalisation. Une "punition" consécutive aux polémiques ? Le mystère reste entier. On vous laisse vous faire votre avis.

    Kathryn Bigelow et Mark Boal au micro d'AlloCiné

     

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