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    Ørdesa : un film interactif par le coscénariste d'Un Prophète
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Nicolas Peufaillit, coscénariste d'Un Prophète et de la série Les Revenants, nous parle de son thriller interactif intitulé Ørdesa, disponible sur Google Play, l'Appstore et sur AppleTV et développé par ARTE France et Cinétévé Experience.

    Arte

    AlloCiné : Pouvez-vous nous raconter comment se déroule concrètement la vision du film, car contrairement à la plupart des films interactifs, ici le spectateur ne fait pas de choix en appuyant sur son écran mais en l'inclinant simplement à droite ou à gauche. Pourquoi avez-vous opté pour ce choix ?

    Nicolas Peufaillit, co-scénariste d'Ordesa : Le concept d’Ordesa est de proposer une nouvelle manière de regarder un film à travers une interaction simple, au service de la narration. Le film réagit à ce que l’utilisateur regarde de manière fluide et imperceptible. Pas d’interface, pas d’endroit où cliquer… la narration ne doit jamais s'interrompre, pour ne pas perdre sa dimension cinématographique. Nous ne voulions pas faire comme les autres films interactifs où le temps se fige et une interface se superpose à l’image pour proposer au spectateur des choix. Parce qu’en faisant cela, on casse l’immersion et le rapport au film, on crée une distance entre le spectateur et l'œuvre qu’il est en train de voir. Nous voulions que le spectateur reste dans le film, et qu’il ait progressivement l’impression d’y rentrer physiquement.

    Ordesa
    Ordesa
    Sortie : 15 octobre 2020 | 0h 45min
    De Nicolas Pelloille-Oudart
    Avec Melissa Guers, Carlo Brandt, Lorenzo Lefebvre
    Spectateurs
    3,2

    Nous avons décidé d’utiliser sur Ordesa un dispositif à la fois simple et accessible : le gyroscope du smartphone. Cet outil est au cœur de notre narration et permet au spectateur de se déplacer dans l’image. En inclinant son appareil, il élargit son champ de vision et révèle l’environnement qui l'entoure. Chaque image peut contenir des zones interactives qui s'enclenchent automatiquement quand l’utilisateur les survole. Ces interactions affectent le montage du film, en affichant de nouveaux médias (images, sons, etc.) et modifient le déroulement du film. On peut parler d’un film organique, qui réagit à ce que le spectateur regarde. Car à chaque fois que le spectateur interagit, il donne de la vie aux scènes, leur insuffle de la profondeur et de l’intensité.

    Pour ce faire, quelle technique a été employée ?

    (...) Nous voulions avoir des prises de vues ultra panoramiques, mais sans avoir un rendu "gopro" ou “fisheye”, ou comme ce que l’on peut voir dans la réalité virtuelle ou des vidéos en 360°. Il était important pour nous de conserver les qualités optiques d'une production cinéma traditionnelle et pour cela nous avons créé notre propre système de prise de vues, qui nous permet ainsi contrôler le ratio de nos images allant du simple cinémascope (ratio 2.35/1) jusqu'au format ultra panoramique (ratio 8/1). Cela nous a pris de longs mois pour créer ce bloc optique, et obtenir ce rendu graphique si singulier, et nous voulons désormais l’utiliser sur des projets similaires.

    Le spectateur est ici un peu voyeur mais aussi un personnage, et c'est l'une des originalités de votre film. A l'écriture, comment est-ce qu'on prend en compte le fait que le spectateur a des choix à effectuer ?

    Je ne le qualifierais pas vraiment de voyeur mais plutôt d’explorateur.  Il a un puzzle à reconstituer, qu’il peut faire en suivant trois lignes narratives : observer les personnages, inspecter la maison et guider le personnage principal grâce aux objets qu’il déplace. Il fallait donc équilibrer ces trois lignes narratives pour qu’elles soient le moins redondantes possibles. Et accorder une vraie place à la narration environnementale. Ce qui implique, aussi, jouer sur les silences plus que sur les dialogues. Privilégier l’atmosphère, tout en maintenant la tension.

    J'imagine que dans le cas d'un film interactif le scénario doit s'adapter aux contraintes techniques. Comment avez-vous vécu cela ? Était-ce compliqué à mettre en œuvre ?

    Je l’ai très bien vécu - avec de la sueur, évidemment - mais pour moi, parler dès le départ de forme c’est fondamental, y compris dans la fiction linéaire. Le scénario n’est pas un objet littéraire mais le brouillon d’une œuvre visuelle. Avoir des intentions formelles fortes, c’est indispensable. Nous avons surtout mis du temps à définir le type d’interactivité. Allions-nous permettre au spectateur-joueur de modifier l’histoire ? Ou mettre en avant l’émotion, ce qui est le vrai but d’ORDESA. Après, et pour le coup c’est une différence fondamentale avec l’écriture d’un film ou d’une série, on ne sait vraiment si ça marche qu’à la toute fin. ORDESA, comme bon nombre d’expériences interactives, c’est un vrai pari risqué, techniquement comme artistiquement, et c’est ça que j’aime le plus.

    Il y a un aspect jeu vidéo (l'influence de l'ancêtre FMV, notamment) à Ordesa, mais qui va plus loin puisque le logiciel, l'application, s'adapte aux choix de cadrage du spectateur, le rendant de fait co-réalisateur. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

    L’idée c’était vraiment de créer une fiction hybride, ni film classique, ni jeu vidéo. Mais d’avoir la sensation d’être dans un film. Et d’opter pour une interactivité invisible, sans être frustrante. Nous voulions jouer avec le spectateur, pour le rendre pro-actif, sans que celui-ci ne s’en rende compte. Pour cela nous avons décidé de déstructurer la mise en scène, en proposant des cadrages qui ne sont pas très harmonieux, pour que le spectateur, inconsciemment, ait envie de les restructurer. On lui laisse ainsi la possibilité de choisir le positionnement de la caméra, de composer lui-même son cadrage.

    En lui donnant la possibilité de faire des choix de mise en scène (un peu comme dans un jeu) nous le faisons participer au récit. Et pour pousser la démarche un peu plus loin, nous avons décidé de traquer ses déplacements, pour que le montage s’adapte au cadre que le spectateur a choisi. C’est l’application qui effectue certains raccords, de manière invisible, pour garder la composante cinématographique du projet. Donc, coréalisateur oui, dans le sens où il peut choisir de ne s’intéresser qu’à une partie de l’image et que le film s’adapte à son regard.

    Le film est disponible sur tablette et mobile via Google Play ou l'App Store.

    Propos recueillis par mail le 15 octobre 2020

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