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    Entretien avec George A. Romero

    Créateur de la saga des Zombies, George Romero explique sa vision d'Hollywood et des Etats-Unis. Découvrez notre interview vidéo de ce cinéaste culte.

    A l'occasion de la venue en France de George A. Romero pour la rétrospective que lui consacrait la Cinémathèque Française du 5 au 16 décembre derniers, AlloCiné a rencontré ce cinéaste hors normes. Le réalisateur nous parle de son dernier-né : Bruiser, de ses projets avortés, de l'Amérique d'aujourd'hui, et de l'inertie de ses habitants. George Romero, c'est l'horreur sous toutes ses facettes : sociales et fantastiques.

    Sa plus grande peur : les zombies ou les militaires ?

    George Romero : Sans aucun doute, les militaires ! Ce sont eux les ennemis. J'ai un léger faible pour les zombies...

    Une si longue attente

    Juste après La Part des tenebres, mon associé Peter Grunwald et moi avions signé un contrat avec New Line Cinema. Ils nous ont payé très cher et nous ont donné des bureaux, mais n'ont jamais fait de film. Cependant, nous sommes sortis de là avec un scénario, intitulé Before I wake, que les studios MGM ont acheté. Et deux ans de travail en plus... Puis, Chris Columbus l'a racheté et, à son tour, a demandé à la Fox de l'acheter. Ces derniers ont accepté, ce qui a entraîné encore deux années supplémentaires de peaufinage du projet. Finalement, il était devenu trop coûteux sans une grande star ! Résultat des courses : il n'a jamais vu le jour.

    Entre-temps, je travaillais sur d'autres projets. J'ai écrit une version de La Momie, une version qui n'avait rien à voir avec celle qui est sortie, ainsi que plusieurs autres films. Juste après Before I wake, Chris Columbus a cherché à nous trouver un contrat pour tourner Chair de poule, qui, aux États-Unis, est une série télévisée d'épouvante pour jeunes. Mais, il y a eu un conflit entre la Fox et la maison d'édition et c'est tombé à l'eau. Tout est tombé à l'eau ! Je suis ressorti d'Hollywood complètement frustré : à être payé beaucoup d'argent à écrire des ébauches de scénarios pour des acteurs et autres personnes, sans pour autant faire de films. J'ai fini par dire : "J'abandonne !". Par la suite, j'ai écrit Bruiser. Ça nous a pris un an pour trouver le financement pour ce projet. Finalement, Canal+ a accepté de le produire.

    "Bruiser"

    Je commence toujours avec un idée sous-jacente. Ce n'est pas vraiment l'histoire en soi, mais plutôt une notion du sujet traité. Par exemple, Bruiser est né des événements de violence aux États-Unis, avec, entre autres, la fusillade au lycée Columbine. Il m'a semblé que c'était relié à une perte d'identité, à la privation de droits. Par conséquent, je me suis dit que je ferais bien quelque chose là-dessus. J'ai aussi vu un film français, Les Yeux sans visage ; quand j'ai vu le visage vide, je me suis dit : "Quelle image merveilleuse !". J'ai marié les deux, ce qui a engendré mon idée pour Bruiser. Je pense que je ne cesserai jamais d'apprendre à me servir des outils. Pour Bruiser, c'était la première fois que j'essayais consciemment de réaliser quelque chose de vraiment fluide à tous les niveaux.

    Dans certains de mes précédents films, je cherchais parfois à assurer mes arrières. Autrement dit, si j'avais des séquences sur tout, je pouvais même changer le contenu ! Si j'avais des gros plans de tout le monde, avec toutes les expressions nécessaires, alors, je pouvais leur faire dire tout ce que je voulais ! Certains aspects dans ces films sont venus de ça. C'était une sorte d'autodéfense. En même temps, j'aimais bien le rythme saccadé : je trouve ça presque cubiste. Pendant longtemps, je ne jurais que par ça, tout particulièrement dans La Nuit des fous vivants, qui était un film très saccadé.

    Indépendance

    Aux États-Unis, il y a cinq ans, on trouvait déjà des maisons de production indépendantes, prêtes à financer vos films. Aujourd'hui, elles appartiennent toutes à des compagnies plus importantes ! Les décisions sont alors prises plus haut sur l'échelle hiérarchique. De surcroît, il devient très difficile de trouver des salles. Le problème majeur est la distribution ! Aux États-Unis, il est devenu pratiquement impossible de trouver des salles de cinéma pour vos films. Quand vous avez Harry Potter à l'école des sorciers qui passe sur 3 500 écrans, il n'y a plus de place pour de "petits" films.

    Je ne suis pas militant. Je ne manifeste pas dans la rue, je ne brûle pas de drapeau ou quoi que ce soit de ce genre. La grande majorité de ma vie a été très normale. J'ai deux enfants... Notre vie est très ordinaire. J'ai choisi de ne vivre ni à New York ni à Los Angeles. Je préfère m'isoler.

    Zombies

    Aux États-Unis, de nombreux jeunes tout particulièrement, ne sont absolument pas impliqués dans le monde politique ou dans l'opinion sociale collective. Ils s'intéressent davantage aux vêtements et à s'amuser. Je trouve que c'est devenu très superficiel. Je n'ai jamais cherché à représenter, avec les zombies, une classe sociale particulière ou une majorité silencieuse. Les zombies ne font que symboliser un changement, une nouvelle chose qui approche ! Les autorités refusent le changement. Espérons que les protagonistes ne le repoussent pas autant, voire soient plus tolérants. C'est en fait une allégorie très simple. Et dire que les gens ont versé tellement d'encre sur la soi-disant politique dans mes films...

    Le cauchemar américain

    Dans La Nuit des fous vivants, le sujet traite du dysfonctionnement d'une arme biologique ou bactériologique. Il n'y avait pas de force extérieure. Mais maintenant, il y a l'anthrax. J'ai vu deux photos dans un livre : la première montrait une scène de "La Nuit des fous vivants" et la deuxième une scène du Pentagone. Dans les deux, les gens portent les mêmes combinaisons de protection blanches ! Il y a de quoi s'inquiéter ! Si les gens portent encore les mêmes combinaisons, cela signifie qu'il n'y a pas eu de progrès ! Cela ne m'étonnerait pas que ce soit un Américain qui ait répandu l'anthrax. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, j'étais trop jeune pour me souvenir de la colère et de la fureur que ressentaient les gens. Mais, la rage que je vois aujourd'hui est, selon moi, la chose la plus effrayante qui soit.

    L'Administration s'acharne à adopter des lois sur la mise sur écoute et ainsi de suite, nous privant progressivement de nos diverses libertés individuelles. Et, les gens réagissent en disant : "Ouais ! Tout va bien ! Tuez cette bande de salopards !" Et ça, à mon avis, c'est ce qu'il y a de plus effrayant. Dans l'agitation du moment, nous allons adopter des lois nous privant progressivement de nos droits, et les gens vont dire: "Oui ! C'est très bien ! Cool !" Jusqu'au moment où il leur sera impossible de faire machine arrière. Les gens ne communiquent pas entre eux, ils ne font pas face à la menace, ils n'en parlent pas. Ils ne cherchent pas à examiner réellement le coeur du problème, si problème il y a... Peut-être n'y en a-t-il pas ? La pire chose qui soit arrivée à l'humanité est le jour où nous avons appris à parler. Car, ce jour-là, nous avons aussi appris à mentir...

    Le retour des morts-vivants ?

    J'ai fini le scénario, mais je l'ai écrit juste avant le 11 septembre. Le thème général de ce scénario était le fait d'ignorer un problème. Et, à mon avis, c'est ce que faisait tout le monde, peu importe le problème : les sans-abris, le Sida, les stratégies politiques... On ignore tout ! Même les informations aux États-Unis sont sur O.J. Simpson, Monica Lewinski, etc. J'ai eu l'impression qu'en fait, nous évitions tous le véritable problème.

    J'ai écrit un scénario sur ce thème. Mais, maintenant, après les attentats du 11 septembre, je ne sais plus trop. Je vais peut-être attendre quelque temps, afin de voir ce qu'il va se passer. Voir quand les choses vont se tasser... Enfin, si elles se tassent... Les États-Unis existeront-ils encore ?!

    Propos traduits par Camille Joubert – Sujet vidéo de Romain Gadiou

    Retrouvez notre interview vidéo de George A. Romero

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