Bonne comédie de Michel Gondry (quoiqu'on en dise, un de nos maîtres d'images aujourd'hui), qui fait délirer (surtout) deux amis, Jerry (Jack Black) et Mike (Mos Def), alors que ce dernier remplace momentanément son père adoptif (Danny Glover) à la tête d'une boîte de location de VHS en déroute. J'avoue qu'au début, ce n'est pas très clair : on s'attend au bout de dix minutes à un énième Jack Black qui fait toujours les mêmes tronches, drôles unes fois, chiantes après. Ici, il joue un mec un peu marginal, qui vit dans une camionnette à côté d'une grosse antenne-relais d'ondes en tous genres. Et puis, p'tit événement, lorsqu'il s'évertue à faire imploser l'antenne-usine à ondes, il se prend évidemment tout un tas d'ondes-éclairs dans la tronche. Résultat : Jerry devient une sorte de monstre magnétique, et efface toutes les bandes du vidéo-club de son pote. Bref, c'est la loose. Et là, excellente idée - même si elle n'est pas directement de Gondry ou du scénariste ou de qui sais-je -, les deux loosers vont se mettre à re-mixer ou re-filmer SOS Fantômes, instamment demandé par une cliente relou interprétée par Mia Farrow.
Je me rends compte, à la lecture de ce premier paragraphe, que dit, expliqué, décrit comme cela, ce n'est ni drôle ni attrayant. Mais cela fait ressortir d'autant plus la puissance de la réalisation de Gondry, vraiment, qui arrive à faire vivre ça d'une manière assez hallucinante. C'est bien simple, j'ai ri aux larmes - et jusqu'au mal de gorge s'il vous plaît - devant le remix de SOS Fantômes. Puissance de la réalisation quand même, ce n'est pas exagéré, parce que Gondry fait là quelque chose d'assez fort à mon sens : il insère dans la trame visuelle de son film un second niveau, un infra niveau, précisément filmé, constitué et créé par les deux bouffons. Déjà ça c'est très fort : parce que les deux niveaux sont assez distincts pour que l'oeil les reconnaisse, mais aussi assez cohérents pour que le jugement ne soit pas complètement désorienté, brutalisé qu'il est par cette discontinuité, cette rupture d'images. Bref, on ne décroche pas, et on adhère même d'autant plus. Qu'est-ce que fait Gondry finalement avec toutes ces parodies (d'autres suivent, mais elles sont quand même moins drôles, à part peut-être celle qui suit immédiatement, Rush Hour 2) ? Tout simplement une intercinégraphie - comme l'on parle d'intertextualité -, c'est-à-dire que son film renvoie à tout un corpus d'autres références filmiques. L'originalité, évidemment - il n'est quand même pas le seul, tout le monde s'amuse à faire des petits "clins d'oeil", genre Tarantino - c'est que cela se fait sur le mode de la reprise explicite et du détournement, de la parodie. Intercinégraphie explicite et parodique.
Et puis, évidemment on pourrait s'arrêter là, mais il y a quand même plus, beaucoup plus même : ce second niveau permet de rattraper le premier niveau (le premier niveau du film, autrement dit la "réalité", la trame principale, le fil conducteur, bref la fiction "fil-rouge" à effets de vérité : vidéoclub en détresse...) par un troisième niveau : un film parodique, sur le même ton que les parodies du second niveau, mais qui prend sa légitimité non pas dans la référence explicite à un film déjà existant (pour des raisons que le film développe d'une manière assez ironique là aussi, condamnant en sous-main le grand système juridico-financier censé protéger les droits d'auteurs), mais dans la réalité du premier niveau, puisque le film est supposé mettre en images la légende d'un jazzman censé être né dans le bâtiment qu'occupe le vidéoclub, que le père adoptif de Mike lui conte depuis son enfance. Je complique une dernière fois la chose pour ceux qui sont parvenus à comprendre jusqu'ici : la dernière ironie, c'est qu'évidemment, cette légende est complètement fausse, inventée de pures pièces par le père adoptif : autrement dit, Gondry met en image un faux (la fausse légende), par une fiction (le film parodique sur le modèle du deuxième niveau), elle-même insérée dans une fiction (le film de Gondry, ou premier niveau). Le truc, c'est que les trois niveaux convergent, bien entendu.
Bon évidemment tout n'est pas parfait et puis ça reste une comédie avec Jack Black, il reste des choses pas très drôles ou des thèmes un peu ressassants... Mais côté réa, c'est tellement énorme qu'on est obligé de se laisser porter par un scénario, sinon bon, du moins original. La réa est d'ailleurs tellement bonne qu'elle arrive non seulement à mettre en valeur les persos et les acteurs (ça c'est quand la réa est bonne voire très bonne), mais en plus à les effacer - je pense par exemple aux mimiques d'habitude horripilantes de Black - (et là, c'est excellent). Côté audio, c'est bon, sans plus. De toute façon Gondry, c'est l'image.
Pour le bidonnage comme rarement devant SOS Fantômes et la réa à plusieurs niveaux, 15/20.
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