Le roman de Gustave Flaubert, «Madame Bovary », a fait l’objet de quatorze adaptations à l’écran à ce jour (2019), dont quatre à la télévision, ce qui doit en faire l’un des livres le plus scénarisé. La flamboyante, sombre et tragique version que Vincente Minnelli réalisa en 1949 domine aisément la filmographie. Celle de Renoir, antérieure de quinze ans, ne démérite pas, loin de là. Les égoïsmes d’une classe de bourgeois provinciaux sont décrits avec précision, à commencer par Emma Bovary, le prototype d’égocentricité et le contre exemple, son mari (touchant Pierre Renoir), homme bon et aveuglément amoureux. Une fois pour toute Emma, décidée à vivre sa vie comme elle l’entend, méprise toute convention, ne manquant même pas de retenue en allant demander secours à un Abbé, qui se révélera aussi égoïste qu’elle. La grande force du réalisateur est de diriger Valentine Tessier dans le rôle titre de manière glaciale et théâtrale, montrant ainsi le combat permanent entre le désir et la réalité qu’elle n’arrive pas à faire coïncider. Tous les personnages deviennent ainsi des utilités, y compris ses deux amants qu’elle aime soit disant « à la folie », mais juste pour échapper à sa morne vie quotidienne. D’ailleurs elle n’hésite pas à les taper pour couvrir le découvert abyssal dans lesquels ses dépenses somptuaires ont plongé son ménage. Les décors étriqués et surchargés de la maison familiale rendent l’enfermement encore plus irrespirable et la mise en scène au cordeau et souvent sans fioritures (le film durait initialement trois heures) va donc toujours à l’essentiel, comme le plan d’excuse à la belle mère où Emma Bovary est enfermée dans l’embrasure d’une porte. Cette sécheresse durcit le film tout en amortissant quelque peu le côté ironique du livre. Tel quel, cette version de 101’ (Renoir regrettait amèrement les coupes) reste, à mon sens la deuxième meilleure à l’écran (mais je n’ai jamais vu la version de Gerhard Lamprecht de 1937, jamais sortie en France, qui a bonne réputation outre Rhin).