Ceci n’est certainement pas un film pour ceux qui cherche le goût du jour. Le reste se trouve merveilleusement plongé dans un chaos, dont la nature n’est ni maritime ni humaine ni animale ni machinale, bien que ses éléments soient la mer, des hommes, des animaux, des machines. Chaos, certes, produit par des images, mais par des images qui supprime le regard savant et préformé. Les maintes caméras attachées à la tête de pécheurs, aux machines, aux chaînes de filets, brouillent jour et nuit, eau et air, homme, mer et ses entrailles, sans que ce qu’elles captent soit soumis à la volonté des réalisateurs, sauf la volonté de ne rien imposer et de donner de la place à la force bouleversante de l’instantané. D’où que c’est une œuvre osé, surtout dans son refus de prendre parti de quoi que ce soit. La violence, la cruauté, la santé, l’amour, toute valeur humaine est anéantie dans le commerce quotidien qui détermine l’être-là. Ceux qui ont besoin d’une voix qui leur explique où ils sont ou bien où se positionner, quelle place occuper, ce qu’il faut approuver et ce qu’il faut nier, devaient s’absenter, ou bien y aller pour autant, au risque de catégoriser et juger comme d’habitude et de rater tout. Ceux qui éprouvent le moindre désir pour l’autre indéfini qu’est la vie telle quelle, avant que les catégories des opposés et de la contradiction ne lui soient imposées par l’autre défini qu’est la société, qui peut-être même se réclame de l’humanité, accordant de la pitié ou de la complaisance, vous trouverez ce que vous ne cherchez pas. Si ce film est de portée métaphysique, même les catégories d’être et ne pas être n’ont plus de valeur ici. Mais cela n’est pas un film non plus, c’est de la folie. Il n’y eut que quelques poètes capables ne pas seulement d’apercevoir, mais aussi d’exprimer cet être indéterminé dont la présence est autant extraordinaire qu’insignifiant, autant ravissante que fade, autant rare que quotidienne. Rimbaud par exemple, dont le « bateau ivre » semble si bien correspondre au tourbillon d’images qui est « Léviathan » : ...les clapotements furieux des marrées n’ont subi tohu-bohus plus triomphant...