"Fantasia" est sans aucun doute possible une œuvre expérimentale unique en son genre parmi tous les films qui ont vu le jour au sein des Walt Disney Animation Studios. Sans doute beaucoup trop puisqu'elle n'était en fin de compte réservée qu'à une élite de spectateurs. Son perfectionnisme aura au final eu raison d'elle, et l'œuvre expérimentale qui devait être continuellement renouvelée fut boudée. Walt Disney enterra dès lors son opéra visuel et auditif, avant que sa renaissance bien des années plus tard retrouve au passage son statut de chef d'œuvre culte des studios Disney. "Fantasia" est une œuvre expérimentale qui divise et qui rassemble à la fois. D'un côté, les puristes amoureux des partitions musicales crient souvent au sacrilège les remaniements des partitions faites pour les besoins des segments du film, de l'autre le grand public applaudit cette vulgarisation de la musique classique aux codes trop compliqués. Personnellement, je me rangerai volontiers dans la seconde catégorie, même si je trouve aujourd'hui encore que "Fantasia" aurait gagné d'être amputé d'au moins une de ses séquences. Le film est en effet extrêmement long pour un long-métrage d'animation principalement contemplatif, mais sincèrement quelle séquence aurait pu être ainsi sacrifiée ? Aucune d'entre elles, et c'est là tout le paradoxe de "Fantasia" ! "Fantasia" s'ouvre tout d'abord par une séquence relativement abstraite où la musique ne fait qu'un avec l'image : "Toccata et Fugue en Ré Mineur". Cette courte introduction est d'ailleurs une agréable mise en bouche du film, son principe sera d'ailleurs repris bien des années plus tard pour sa séquelle "Fantasia 2000". Elle est ensuite suivie par "Le ballet de Casse-Noisette" qui compose six thématiques tantôt attendrissantes tantôt humoristiques tantôt envoûtantes. Vient alors le segment le plus célèbre : "L'Apprenti Sorcier". Le long-métrage connaît depuis lors une carrière exceptionnelle, Mickey en est devenu l'emblème du film, et il fut distribué à de nombreuses reprises comme court-métrage autonome (en France, il n'eut cependant l'honneur d'avoir une VHS à son nom qu'à la location, et dans une compilation à la vente) y compris à la télévision. L'histoire de cet apprenti, qui essaie de faciliter sa vie par la magie, tourne vite au cauchemar quand il ne parvient pas à stopper le sortilège qu'il a jeté. C'est l'un des plus grands moments de "Fantasia". Il reste tout de même étonnant de savoir que la version de pré-production aurait dû faire jouer Simplet, Walt Disney eut l'heureuse bonne idée de s'y opposer, offrant ainsi à Mickey l'un de ses plus beaux rôles. "Le sacre du printemps" est sans conteste le segment le plus long du film. Il reste aussi le moins accessible au public non averti. Véritable docu-fiction avant l'heure, ce segment de "Fantasia" reconstitue avec une quasi-exactitude étonnante les premiers cycles de la vie sur Terre, notre planète ayant en effet connu plusieurs extinctions massives. Le caractère inhabituel de ce segment, qui tranche radicalement avec les autres, est également appuyé par une bande-son oppressante. A l'inverse la technique utilisée est d'une rare qualité, tout comme les effets spéciaux très élaborés. Ce segment comporte d'ailleurs l'une des séquences les plus terrifiantes que j'aie jamais pu voir dans un long-métrage d'animation, tous studios confondus, avec l'affrontement spectaculaire entre le T-Rex et le pauvre stégosaure, avec une scène violente, très triste et très cruelle (bien qu'il n'y ait pas de sang). "La symphonie pastorale" permet heureusement de revenir à une narration plus légère, elle arrive d'ailleurs au bon moment pour récupérer les spectateurs qui se sont égarés dans le segment précédent. Les couleurs y sont plus chatoyantes et moins réelles. Les puristes critiqueront d'ailleurs fortement ce parti pris qui ne colle pas du tout à la symphonie de Beethoven. Le segment se décompose d'ailleurs en deux temps, l'un consacré à un troupeau de chevaux ailés et l'autre à un troupeau de centaures. C'est d'ailleurs principalement cette seconde partie qui est malheureusement le résultat d'une forte censure que nous connaissons aujourd'hui. Si l'on excepte "L'Apprenti Sorcier", mon second coup de cœur de ce film reste indéniablement "La ronde des heures". Délicieux ballet caustique, ce segment met en scène des autruches, des éléphants, des hippopotames et des crocodiles devenus tout comme Mickey très célèbres au-delà du film. La version de Kostal se veut d'ailleurs beaucoup plus humoristique que celle de Stokovski, même si quelques effets rajoutés par ce dernier valent aussi le détour. La légèreté fait alors place à un segment réellement effrayant : "Une nuit sur le mont chauve", inspiré d'une légende Ukrainienne. La musique accentue fortement ce qui se passe à l'écran, le dieu Chernabog y est resplendissant dans toute sa froideur ! La séquence finale se mêle ensuite à l'Ave Maria dont les chants semblent mettre un terme au courroux de Chernabog. Étonnant dans son concept, "Fantasia" est véritablement une œuvre complètement à part dans le catalogue de Disney. Sans aucun successeur depuis lors, le film est donc absolument unique en son genre. Il existe bien "Fantasia 2000", mais celui-ci se place plus en héritier d'un mythe qu'en véritable concurrent. Ainsi, ce "Fantasia" constitue pour moi un immense chef d'œuvre de poésie, d'onirisme, de magie, d'émerveillement mais aussi de terreur et d'épouvante, illustré par des morceaux musicaux de musique classique d'une qualité exceptionnelle, accompagné par des images féériques sublimes et sublimé par une animation d'une exceptionnelle fluidité et d'une splendide beauté. Clairement une expérience cinématographique poétique inoubliable pour ma part