En préambule, un conseil : si vous êtes neurasthénique, passez votre chemin, ce film n'est vraiment pas fait pour vous, il ne fera qu'accentuer votre mélancolie. Mais si vous avez les idées à peu près claires et si vous désirez voir un film exigeant et d'une grande beauté formelle, allez vite découvrir le deuxième film d'Emir Baïgazin, le réalisateur kazakh des "Leçons d'harmonie" que nous avions tant appréciées voilà deux ans. De quoi s'agit-il au juste ? De quatre garçons. Dans le vent ? Oui, si l'on veut, mais alors dans le vent de la steppe, une steppe qui s'étend à perte de vue et qui n'offre au regard qu'une maigre végétation sans le moindre pittoresque. Une steppe que jalonnent quelques maisons sans attrait et des usines à l'abandon environnées de débris de ferrailles, signes d'un temps révolu. C'est dans cet univers ingrat qu'évoluent de jeunes adolescents qui rapidement se mettent à l'école de la violence et des menus trafics. Il y a là Jaras dont le père sort de prison, Poussin dont la voix enchanteresse n'est pas du goût de tous, Crapaud qui a quitté sa mère et qui erre dans les décombres des usines à la recherche de métaux à revendre et Alsan, l'intellectuel de la troupe dont on peut penser qu'il sera le seul à se tirer d'affaire, oui mais... Tout cela nous donne un film d'une noirceur atroce et d'un pessimisme total. Pas la moindre issue, sinon la folie. Et pourtant quel charme se dégage de cette œuvre tout à fait dans l'esprit du précédent film ! Chaque plan est composé comme un tableau, un tableau à contempler et l'on peut vous assurer que le réalisateur vous donne le temps de le faire. Peu d'objets, sinon des bougies, des assiettes ou des verres, ou bien encore des livres défraîchis qui accusent la désuétude des années 50. Mais de tout ce "presque-rien", Baïgazin réussit à faire la matière d'un cinéma profondément pictural où la lumière transcende la pauvreté des décors. Pas de musique non plus, sinon deux chants qu'entonne Poussin devant des fauteuils désespérément vides. Baïgazin minimaliste, c'est un fait, mais quel artiste ! Et quel sens de la direction d'acteurs ! Quelle maîtrise de cet univers d'adolescents en proie à un mal être permanent ! Certaines séquences sont d'une beauté stupéfiante, en particulier celle où Crapaud explore les souterrains angoissants d'une usine désaffectée et où il rencontre trois jeunes échappés d'un orphelinat : c'est Tarkovski qui rencontre alors Fellini.