"La forme de l’eau" est un petit bijou de conte métaphorique servi dans son plus bel écrin. Je vais tenter de préciser cette entrée en matière qui, en fait résume en partie l’ensemble de mon avis. Cet écrin a été matérialisé concrètement par l’esthétique donnée à l’image. D’ailleurs, s’il devait y avoir un quizz sur le nom du réalisateur, je suis sûr que plus d’un désignerait Jean-Pierre Jeunet comme tel. C’est vrai que quand on regarde la filmographie de ce dernier, "La forme de l’eau" y ressemble étrangement. De toute façon, même en sachant que le cinéaste de ce film est Guillermo del Toro, le nom du français vient tout de même en tête. C’est dire si le style est très proche… Cet écrin est aussi formé par les décors. Absolument superbes (au point d’en être oscarisés), ils n’ont aucun mal à transporter le spectateur en un autre temps, un temps révolu. Mais cet écrin a une particularité : en plus d’abriter précautionneusement son contenu, il est musical, comme pour finir de subjuguer l’admiration de l’observateur (autrement dit le spectateur). La preuve, la musique se fait entendre dès qu’on ouvre la boîte (c’est-à-dire dès qu’on démarre le film), puis se tait dès lors qu’on la referme. Et ce spectateur ne peut qu’être émerveillé devant l’esthétique de l’image et la musique d’Alexandre Desplat. Chaque scène est merveilleusement accompagnée, que ce soit par les créations du compositeur, ou que ce soit par les musiques préexistantes. En y réfléchissant, j’ai même du mal à imaginer les différentes scènes sans ses supports musicaux. Aussi, il me semble logique que le compositeur français ait été récompensé par le graal, en réalité son deuxième Oscar après "The Grand Budapest Hotel". Ensuite pourquoi ai-je qualifié "La forme de l’eau" de métaphorique ? Eh bien il suffit de revenir sur la signification du titre donnée par le réalisateur Guillermo del Toro : « L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est-ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature –, l’amour s’y adapte ». Vous pouvez vérifier, le propos fait partie des secrets du tournage de notre site préféré Allociné. "La forme de l’eau" serait alors avant tout une romance ? Si on se réfère à cet extrait de l’interview et à la bande-annonce, il semblerait que oui. Et puis l’entame confirme cette direction. Sauf qu’en regardant ce film, j’ai eu plus l’impression d’assister au sauvetage de cette créature qu’à la romance promise entre cette sorte d’homme-poisson et la femme muette. Et de ce fait, au vu de cette somme toute légère déviation, "La forme de l’eau" ne mérite pas l’Oscar du meilleur film pas plus que Guillermo del Toro le sien en tant que meilleur réalisateur. Attention, je ne dis pas que la romance n’y est pas. Elle y est mais, bien que définie comme une passion pure, elle n’a pas été développée plus que ça. Selon mon avis, des moments privilégiés supplémentaires entre les deux personnages principaux auraient rendu ce film plus émotionnant encore. Parce que le vrai problème vient de l’empathie envers les personnages, plus précisément de l’empathie qu’on ne ressent pas. Tout a été pourtant fait dans ce sens. D’abord par la relation entre Elisa Esposito (Sally Hawkins) et Zelda Fuller. Dans la peau de cette dernière, Octavia Spencer, qui semble apprécier le rôle d’ange gardien tant elle le maîtrise en personne entièrement dévouée à ses ami(e)s (elle sort tout juste de "Mary", un feel good movie dans lequel elle jouait une voisine bienveillante à l’instinct maternel). Dans tous les cas, la paire qu’elles forment est assez bien vue, dans un monde de brutes où il n’y a guère de place pour le handicap, aussi minime soit-il. Ensuite par Richard Strickland, dont rien que le nom suffit (allez savoir pourquoi) à évoquer quelque chose d’inquiétant. Il n’y a pas que le nom du reste, du fait que son interprète Michael Shannon a pour ainsi dire la tête de l’emploi. Dès sa première apparition, on le perçoit comme quelqu’un de potentiellement vil et, fatalement… dangereux et déjà, on sent à travers lui la patte du réalisateur par cette violence froide. Le fait est qu’il joue son rôle avec beaucoup de conviction, et tant pis si pour certains il peut paraître un peu cliché sur les bords. Pour moi, la palme de l’interprétation revient à Sally Hawkins dans la peau de cette femme muette. On pourrait aisément croire qu’elle est véritablement muette. Outre le langage des signes qu’elle semble bien maîtriser, elle a un regard très expressif, si expressif que parfois son regard est bien plus éloquent que les phases signées. Et puis on sent une certaine complicité avec Richard Jenkins sous les traits de Giles, avec qui elle semble partager une certaine passion pour la comédie musicale. Par les numéros de claquettes improvisés, c’est à presque regretter que ça n’ait pas été davantage exploité. C’est à se demander pourquoi "La forme de l’eau" n’a pas été décliné sous forme de comédie musicale, parce que franchement, il y avait la place. Ça reste néanmoins un bien joli film qui fait voyager le spectateur hors du temps, limite dans un autre monde, teinté tout de suite de fantastique amené par une entame des plus originales. Un peu comme les boîtes à musique qui appellent au rêve. A condition toutefois d’aimer les boîtes à musique, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Et ça sera pareil pour ce film.