Cela ne vous aura pas échappé, une majorité de personnes s'emballe sur ce film comme s'il s'agissait de la révélation de l'année. Allons donc. Il n'y a qu'un mot qui me vient à l'esprit quand je constate le succès retentissant de ce film : incompréhension.
Et pourtant, je n'ai rien contre le travail de Guillermo del Toro, dont j'ai beaucoup apprécié Le Labyrinthe de Pan. J'aurais aimé apprécier La Forme de l'eau comme j'ai aimé la féerie noire du Labyrinthe de Pan (2006), tout comme j'aurais aimé apprécier davantage Crimson Peak (2015). Mais les faits sont là : The Shape of the Water m'a tout bonnement laissée de marbre.
Il ne s'agit pourtant pas d'un mauvais film. Si la technique semble maîtrisée, le scénario cohérent et l'ensemble plutôt plaisant à regarder (Même si j'avoue m'être ennuyée au cours de ces deux heures de séance, la fin étant bien trop prévisible), The Shape of the Water n'est pas parvenu à combler mes attentes.
Bourré de références, le nouveau film de Del Toro ne cache pas son affection pour le cinéma de Jean-Pierre Jeunet. Peut-être même beaucoup trop. De l'ingénuité et du character-design de l'héroïne jusqu'à l'esthétique du film et des décors qui ont beaucoup plus l'air d'avoir été tourné dans une cage d'escalier parisienne rétro que dans le Baltimore des années 60, en passant par la musique (Primée aux Oscars...) d'Alexandre Desplat, TOUT transpire Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Sans compter des éléments du scénario, comme le rituel matinal d'Elisa (répété machinalement deux fois de suite histoire que le public ait bien imprégné qu'il s'agit d'une trentenaire solitaire dont le train-train se cantonne à réveil - bain - onanisme - petit dèj - boulot - retour à la maison) qui résonne comme du Amélie Poulain tout craché.
Honte à moi, je n'ai pas particulièrement apprécié Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Je lui reconnais un style propre à Jeunet, celui de filmer l'ordinaire du quotidien et d'en transformer les détails en quelque chose d'extraordinaire, à la limite du fantastique ; l'intention de Guillermo Del Toro était sans doute de rendre hommage à cette patte artistique pour incorporer le fantastique au quotidien de son héroïne, Elisa, mais je trouve le rendu beaucoup trop chargé pour ne pas paraître grossier. Plus qu'y faire référence, le film a presque l'air d'en pomper toute l'essence.
Tiens, un peu comme si l'histoire d'Harry Potter avait eu lieu en Terre de l'Entre-deux et que son héros Frelon Shaggins recevait l'aide du magicien Granhalf pour aller détruire un collier magique appelé le Seul dans les flammes du Mormor... Ce genre-là tu vois. Avec le thème de l'Anneau joué à l'Ocarina histoire que la référence ne soit pas trop obvious.
L'esthétique du film n'a elle aussi pas réussi à me convaincre. Avec une dominance des tons bleus-verts, une atmosphère chargée d'humidité pour rappeler l'eau des marais d'où la créature est issue, elle me rappelle beaucoup trop les codes déjà présents dans Crimson Peak et Le Labyrinthe de Pan, lesquels avaient respectivement une dominance des couleurs rouges et bleues. Pas de quoi crier subitement à l'inédit ("Oh mon Dieu, il avait d'abord pensé réaliser son film en noir et blanc, et au final il a décidé de le faire en vert, quel génie !" Oui bah l'idée elle lui vient d'où à ton avis ?), puisque ce n'est finalement qu'une redite de ce qu'il avait déjà expérimenté avant. Pas de quoi se sentir dépaysé ou projeté en dehors des sentiers battus donc.
Une autre référence que Guillermo Del Toro n'a pas cachée, c'est celle faite au film La Créature du marais réalisé par Wes Craven et sorti en 1982. Véritable nanar, La Créature du marais est resté mémorable du fait de la direction de Wes Craven, mais n'en reste pas moins un film de série B tout juste divertissant.
L'esthétique de la créature du lac de The Shape of the Water ainsi qu'un énorme pan du scénario sont tout droits inspirés, pardon, copiés de ce film. Lui-même inspiré du conte de La Belle et la Bête, ce qui vient tout droit se référencer au long-métrage éponyme de Cocteau : Bingo, nous avons un numéro gagnant !
Dans les grandes lignes, The Shape of the Water raconte la rencontre entre Elisa, agent de maintenance d'un laboratoire top-secret du gouvernement américain, et une créature du lac destinée à devenir une arme redoutable contre l'ennemi soviétique (Pourquoi, comment, personne ne le sait, puisque tout ce que sait à première vue faire ce batracien humanoïde, c'est manger des œufs durs, apprendre le langage des signes et danser sur des airs populaires des années 60...) Mais le scénario va très vite s'égarer dans des ramifications alambiquées pour mener à des tenants et aboutissants que seul Del Toro saurait expliquer : pourquoi est-ce que les Russes veulent à tout prix détruire/s'accaparer la créature, pourquoi est-ce qu'on nous montre ces scènes d'espionnage ? Pourquoi est-ce que ça parle de racisme Blancs/Noirs dans les restaurants familiaux américains ? Quel est le rapport avec l'homosexualité sous-entendue du voisin d'Elisa ? Est-ce que les scènes où ce dernier rencontre son employeur afin de lui montrer ses récents travaux picturaux dans la publicité ont un rapport avec l'intrigue principale, sinon qu'est-ce que Diable ça fiche là ? Ah bon, le film parle aussi de féminisme ? Eh bah mon vieux, c'est complet.
À côté de ça, les scènes exposant les prémices de la relation unissant Elisa à la créature ne se font pas légion, si bien que la nécessité qui s'impose à elle de sauver la bestiole des vilains américains n'est pas d'une grande évidence pour le spectateur (Mais bon, puisqu'elle est convaincue qu'il le faut, c'est qu'il le faut... !
La suite du scénario n'en est que prévisible :
la relation amoureuse entre la femme et la créature ne nous surprend guère, et son sauvetage à la Sauvez Willy non plus (Avec un plan d'action pour le kidnapping aussi calibré que celui du Scooby gang en mode YOLO qui ferait presque passer les gros bras de l'armée américaine pour de grands amateurs...)
En bref, Del Toro semble vouloir gaver son film à ras-bord de messages sans aboutissements en délaissant au passage l'histoire principale, celle de la naissance d'un amour impossible entre une bête aquatique et une humaine. Car oui, cela parle bien d'amour, le réalisateur lui-même ayant expliqué le titre de son film en ces termes : "L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est-ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature –, l’amour s’y adapte."
Bon, je suis mauvaise langue : on a quand même le plaisir d'assister à une scène de Musical totalement hors de propos où l'héroïne chante son amour et danse avec son amant de chair et d'écailles.
Pour parfaire le tableau, je n'ai pas vraiment trouvé le casting du film transcendant : Sally Hawkings (Elisa), muette durant le film, se contente d'afficher un constant caractère ingénu et malicieux à la limite de l'agacement ; c'est son amie Zelda Fuller, interprétée par Octavia Spencer, qui se charge majoritairement de meubler (d'inonder) le film de monologues : un duo qui malheureusement ne réussit pas à convaincre le spectateur et attirer son affection.
Seul Michael Shannon (Interprétant le méchant vraiment méchant Richard Strickland) parvient un peu à surprendre au début, puis tombe irrémédiablement dans une parodie du vilain militaire fou qu'il incarne.
Pour conclure, l'engouement suscité par The Shape of the Water n'est à mon sens pas mérité, et difficilement compréhensible. Réussi dans l'ensemble, il ne parvient cependant pas à se démarquer des œuvres qu'il prend pour références et n'en tire pas spécialement parti. Décevant dans son ambiance, son esthétique et son scénario, certaines scènes restent cependant remarquables et belles bien qu'attendues (Je pense notamment à la scène où Elisa
[spoiler]emplit sa salle de bain d'eau pour avoir un rapport charnel avec la créature du lac ainsi qu'à la scène de fin, représentée sur l'affiche du film.)
Pas vraiment captivant, son message véritable noyé sous un flot d'informations dont on n'a finalement pas grand chose à faire, The Shape of the Water ne fera certainement pas parti de mes coups de cœur de cette année 2018.
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