Il y a les espèces en voie de disparition. Il y a aussi les objets, les constructions en voie de disparition. Un exemple parmi d'autres, les kiosques à journaux. Pour diverses raisons, l'émergence de la presse numérique étant sans doute la plus importante, il se vend de moins en moins de journaux papier et celles et ceux qui restent fidèles au papier se tournent de plus en plus vers les abonnements. Autre cause de cette disparition progressive, la politique menée par le groupe Decaux, dont Mediakiosk, propriétaire des kiosques parisiens, est la filiale. Fille, petite-fille et arrière-petite-fille de kiosquiers, la plasticienne Alexandra Pianelli a voulu prêter main forte à sa mère qui s'esquintait la santé dans ce lieu particulièrement exigu et inconfortable qu'était le kiosque familiale. "Qu'était" : il faut malheureusement utiliser l'imparfait car ce kiosque qui était installé Place Victor Hugo, dans le 16ème arrondissement de Paris, a cessé de fonctionner. Mais, pendant près de 10 ans, Alexandra Pianelli l'a tenu, et elle a fait un film à partir de ce qu'elle avait filmé avec son téléphone portable, un clin d'œil tout à fait conscient de sa part consistant à utiliser un fruit des nouvelles technologies pour montrer l'impact pas toujours positif de celles-ci sur notre existence. Le métier de kiosquier est un métier de rencontres, que ce soit avec des habitué.e.s dont on apprend petit à petit les petits secrets ou avec des gens qu'on ne verra qu'une seule fois, des touristes par exemple. Un métier qui, d'une certaine façon, vous transforme en "profiler", capable de deviner à l'avance, d'après le look, le type de presse que va demander tel ou telle acheteur ou acheteuse : casquette noire va acheter "l'Equipe", Fourrure et sac à main, ce sera "Voici", noeud papillon, ce sera "Classica" ou "Le monde de la musique". Alexandra Pianelli montre aussi les difficultés qu'on ne cesse de rencontrer dans ce métier : la gestion des invendus, le nombre de titres à mémoriser, la perte de clients lorsque les luttes entre Decaux et les ouvriers des imprimeries débouchent sur des grèves, etc. Pour montrer les enjeux politiques et économiques de ces luttes et la situation économique des kiosques, la réalisatrice n'oublie pas sa formation de plasticienne en utilisant des petites maquettes en carton confectionnées par elle à cet effet. En fait, vu de l'extérieur, un kiosque, cela ressemble un peu à la scène d'un théâtre vue par des spectateurs, sauf qu'ici, la spectatrice, c'est la kiosquière et les interprètes, ce sont les clients à l'extérieur du kiosque. A force de rencontrer les habitués du kiosque, aux profils très divers, retraitée, SDF, chef cuisinier, bénévole à Notre-Dame de Paris, s'ancre à nous la certitude qu'on assiste à une histoire gorgée d'humanité, une humanité qu'un modernisme outrancier accoquiné avec des puissances économiques souvent mal intentionnées est en train, sinon de tuer, du moins de modifier profondément.