Les films naissent chez Faouzi Bensaïdi d’une capture photographique d’un moment. Pour Déserts, le réalisateur se trouvait dans un hôtel à Marrakech, à l’heure du petit déjeuner. Il se rappelle : "À côté de moi étaient assis deux hommes en costumes quasi identiques, chacun avec une mallette. Je n’entendais pas bien ce qu’ils se disaient mais leurs gestes étaient presque synchrones. Tout est parti de là. J’ai commencé à imaginer leur vie."
"Sont-ils dans la même chambre car ils n’ont pas assez d’argent ? Se sont-ils cotisés pour acheter une voiture ? Je commence à prendre des notes sans bien savoir où cela va me mener. Au début, je les voyais inspecteurs des impôts (rires). Quelque temps plus tard, marchant dans Casablanca, je vois une immense publicité pour une agence de recouvrement de crédits. Là, les choses commencent à vraiment se mettre en place. Le film était en train de germer."
"C’est le titre d’origine. Dans ma tête, l’histoire démarrait dans cette marge urbaine d’un village marocain – comme un désert de la misère - avant de se poursuivre littéralement dans le désert. Il y avait aussi cette idée : il y a un désert pour chaque homme. Un espace nu où chacun se retrouve face à lui-même. Et enfin, c’est au pluriel car la vie de ces hommes est aussi un désert affectif", selon Faouzi Bensaïdi.
La mise en scène de Faouzi Bensaïdi repose principalement sur le plan séquence. Le metteur en scène justifie ce choix : "Ce n’est pas une théorie de cinéma. J’y vais naturellement. C’est ma manière de découper. C’est surtout un plaisir de cinéma pur avant tout. Cela vient aussi de ma passion pour les films de Welles, depuis l’adolescence."
"Pour le plan fixe, il faut organiser le rythme du plan, trouver sa musique intérieure en orchestrant les entrées et les sorties de cadre. Ce que j’aimais déjà faire au théâtre, qui est l’essence du plan fixe. Si la caméra bouge, c’est dans le but d’aller chercher des éléments précis de la narration et insuffler à la composition d’ensemble un solo, comme un violon dans un orchestre."
Ce film a été présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2023.
Très vite, Faouzi Bensaïdi s'est dit qu'il allait soit opter pour le Scope, soit le 4/3 : "C’est intuitif mais je savais que je ne voulais pas de format intermédiaire. Le scope l’a emporté sur le carré car j’aime beaucoup ce qu’il offre comme possibilité sur la symétrie dont nous parlions. La manière dont il fait ressortir la petite distorsion, qui, grâce à ce format, prend une importance énorme à l’écran. D’ailleurs, le scope me semblait presque naturel pour filmer le désert et cette histoire, avec sa dimension presque cosmogonique, ses immenses espaces."
Au début, Faouzi Bensaïdi voulait que les costumes des deux personnages principaux soit d’un gris banal et identique. Il a ensuite changé d'avis : "Et puis, je me suis dit qu’envoyer deux types dans le désert avec des costumes colorés pourrait provoquer une dissonance bienvenue. Une fois au bureau, ils prennent place dans le décor : l’un avec les bleus, l’autre avec les verts. Ce libéralisme violent se fait sous couvert de dehors sucrés. On envoie des gens vous assassiner mais ils sont habillés de couleurs vives, tutti frutti."
Avec Déserts, Faouzi Bensaïdi passe de la comédie burlesque à la tragédie abstraite. Il nous en dit plus par rapport à cette cohabitation de genres très différents : "D’abord, beaucoup de plaisir à travailler ces différents genres ensemble. C’est une sorte de broderie. Mon cinéma est toujours allé dans cette direction. Longtemps, je me suis demandé pour quelles raisons. Cela me vient sans doute de l’enfance. J’ai grandi dans une maison où ma mère incarnait la comédie, et mon père, la tragédie."
"Ma mère rigolait tout le temps. Face à un père qui avait la gravité de la vie. Tout pour lui était important. C’était un homme romantique dans son engagement politique, il est resté fidèle à ses idées de gauche mais il a abandonné le rêve de devenir politicien, il lui manquait la violence. Il transformait tout en rituels sérieux que ma mère allégeait avec sa dérision. J’ai grandi dans cette atmosphère et je retrouve cela dans mon écriture où je n’ai pas de mal à opérer des virages y compris à l’intérieur d’une séquence."
"Il faut dire que j’ai commencé au théâtre. J’avais une fascination pour les pièces de Shakespeare : un auteur capable de dépasser les limites des genres en osant insérer un personnage de bouffon dans la tragédie du Roi Lear."