Parmi les multiples sauts d'Akira Kurosawa du côté de l'Occident, l'un des plus beaux, avec «Ran» est «Hakuchi» (Japon, 1951), adaptation de l'ouvrage homonyme de Dostoïevsky. Au retour de la guerre, comme dans «Nora inu», un jeune homme traumatisé, Kameda, se retrouve piégé par sa naïveté et sa propension imparable à dégager un élan de bonté. Kurosawa forme, autour de cette intrigue tragique par son astreinte, une figure récurrente du triangle. Souvent se situe en point hégémonique, la figure vampirique et ensorcelante de Nasu (magnifique Setsuko Hara qui quitte l'émotion douce de chez Ozu pour vêtir un personnage noir et faustien). Dans un cadre souvent composé en triangle, répartissant les points de lecture du cadre en une figure parfaite du dialogue et du mouvement (le triangle et sa disposition parfaite à l'ambivalence n'est-il pas le plus proche du cercle ?) permet à l'esthétique du film de formuler le caractère même de la tragédie : l'angoisse du choix. Pour cette raison, «Hakuchi» avère, par une composition somptueusement signifiante, la place de Kurosawa comme grand tragédien du cinéma. Des facultés du 7ème art à exprimer la condition humaine, sont employés la mise en correspondance au sein même du cadre de différents objets par un positionnement judicieux du regard sur le monde. En choisissant tel angle et tel axe, Kurosawa permet de révèler, par un moyen très expressionniste, la «substantifique moelle» de la scène. Des couteaux, exposés dans une vitrine, qui se dirigent vers le coeur de l'idiot mettent en évidence le suspense de la séquence. Autre moyen de dynamique cinématographique : la mise en correspondance au sein des séquences, parmi les plans. Les fondus ou les volets sont les moyens le plus répandus pour rendre visible cette perpétuelle cinétique. La profonde tristesse du film, outre de prendre place dans les yeux accablés de Kameda, provient de cet insaisissable trialectique entre la vie, la mort et l'amour, entre l'homme, la femme et le destin.