Le film catastrophe est un genre qui offre peu de réussites. Assurant de grosses recettes au box-office, il a été surexploité alors qu'il ne pouvait se prêter à produire des œuvres d'inspiration diverses, si l'on tient compte de la définition même « film centrés sur des catastrophes naturelles ». Les réussites les plus grandes sont celles que l'on hésite le plus à classer dans cette catégorie : ainsi Titanic se range bien mieux dans le genre film d'amour, drame romanesque qu'au sein du film catastrophe.
La Tour infernale mérite une place privilégiée. Peut-être même la première place. Car ce film, tout en respectant strictement le genre, a une raison d'être autre que le divertissement au énième degré. Il a été réalisé en hommage au travail difficile des « firemans », dans le but de leur exprimer reconnaissance et de faire comprendre au public le côté moral qu'il induit.
Ensuite, au niveau cinéma, le film s'avère être d'une efficacité redoutable qui lui assure une place au panthéon des œuvres les plus spectaculaire de leur décennie. Mais avant toute considération technique, commençons par un élément crucial à toute pièce cinématographique maîtrisée : le casting. Faisant la part belle aux stars de l'époque, on retrouve d'excellents acteurs tel que William Holdin (Duncan), Richard Chamberlin (Simmons) et Robert Wagner (Bigelow) et surtout le chouchou d'Hollywood du moment : Steve Mcqueen est de la partie, il campe avec force et rudesse un chef brigadier blasé et rompu aux risques de son métier, qui fait carrément figure de vétéran de la guerre (guerre contre le « méchant du film », le feu). Mais en face Paul Newman ne lui cède pas un pouce de terrain, incarnant un architecte qui affiche d'abord des allures de James Bond pour se révéler par la suite plus humain, ce qui lui permet de mieux se transcender en héros pour le final.
Ces très nombreux personnages sont présentés par poignées de scènes minutieusement réparties lors de la première demi-heure qui amorce longuement le drame. Ces dernières ont pour fonction de donner de la consistance aux protagonistes, tout en nous régalant de jolis décors d'intérieurs Californiens, soit dit en passant. Cette préparation semble être devenue une tradition reprise dans tout les blockbusters catastrophes récents (Poséidon), mais il leur manque des acteurs classes qui instillent, derrière la caméra de John Guillermin, « l’étincelle cinéma ».
Donc la construction dramatique est extrêmement soignée, et sa lenteur lui donne toute sa crédibilité. Ainsi pas de grosse explosion pour nous prévenir « ah, ça va barder ». Le feu se propage naturellement, constamment ralentis par les efforts des pompiers, qui interviennent très rapidement. Les premières scènes où « le monstre attaque » sont assez choquantes : des gens sont brûlés, le réalisme est de mise. Arrive alors la mort de Lorie qui conclut en une ultime séquence théâtrale l'apogée de l'horreur liée aux flammes (John Williams à la barre de la bande son, contribue particulièrement à ce petit air tragique d'opéra). Le film va ensuite se concentrer sur les façons de s'échapper de l'incendie, étalant absolument tout les thèmes à développer : problèmes éthiques posés par l'inégalité des chances de survie d'un groupe constitué d'individus variables (enfants, vieille dame), choix moraux, conflits engendrés par des personnalités tapageuses...Jusqu'à finir par nous délivrer des instants incroyables comme la traversée du vide sur chaise-tirolienne et la soulevée de la cage d’ascenseur par hélicoptère. Le réalisateur emploie là tout son talent à nous tétaniser à coup de plans vertigineux où l'on retient son souffle. Pour moi ces moments vraiment dingue font pièce au boum final qui exacerbe une surenchère brillamment évitée pendant tout le reste du film. Ce feu d'artifice qui achève le film est avant tout une démonstration technique, qui, sur le plan visuel, a de quoi laisser béat. Voir ces images sublimes de l'eau cascadant du sommet de l'édifice contrastant avec le flammes s'élevant vers la haut procure un grand plaisir de cinéphile, je vous le garantis, car même si aujourd'hui on sait que l'immeuble n'est qu'une maquette ; les couleurs, les contrastes et la dynamique de l'image impressionne.
La Tour Infernale est donc un chef d’œuvre du film catastrophe, surpassant à bien des égards sur la même domaine des débandades d'effets numériques qui se remplissent les poches à l'heure actuelle tel que le Jour d'Après, 2012...Et qui a le mérite de remercier les pompiers de manière sérieuse.