Shyamalan est un grand cinéaste. A Hollywood, personne d'autre que lui ne peut faire les films qu'il fait, et l'originalité de son style est une chance dans le paysage cinématographique actuel. Son cinéma n'est pas exempt de défauts, mais la subjectivité est telle que les défauts de son auteur seront pour d'autres d'indéniables qualités. Un problème récurrent selon les détracteurs du metteur en scène est certainement la naïveté de son oeuvre qui flirte bien souvent avec la niaiserie. Mais l'erreur est bien là, de penser que la matière des films de Shyamalan est faite de guimauve et de bons sentiments ( pourquoi " bons sentiments " est-elle devenue une expression péjorative ? ). En fait, M.Night Shyamalan n'est ni un hippie, ni un gosse n'ayant jamais été en contact avec la dure réalité du monde : c'est un utopiste à qui il manque ce que bon nombre de personnes n'a que trop : du cynisme. Plutôt que de se morfondre en ressassant inlassablement la tristesse du monde et en se prélassant de manière morbide dans un mécanisme du regret qui empêcherait d'avancer, le cinéaste américain revient à des valeurs pures qu'on a trop tendance à oublier : la fraternité et l'amour. Si son cinéma peut sembler inquiétant sur certains points ( voir le culte de la terre et donc la régression à l'oeuvre dans Signes et Le Village ) car un peu conservateur sur les bords, il est aussi très touchant de constater la foi que l'auteur place en l'Humanité et en des valeurs solidaires. Chez le cinéaste, il y a toujours en place la notion de croyance qui se joue à deux niveaux : d'une part, il faut croire en l'incroyable ( croire aux fantômes, aux super-héros, aux extra-terrestres ) d'autre part surtout - et c'est bien plus dur, donc noble une fois que l'on y arrive - croire en soi-même et en notre prochain ( le mot n'est pas anodin tant Shyamalan ne peut apparaître autrement que comme un cinéaste chrétien ).
Dans Le Village ceci dit, le phénomène est quelque peu inversé puisque c'est la croyance en des monstres alentour qui empêche la progression et donc l'évolution des habitants.
C'est uniquement quand elle ne croit plus qu'Ivy peut traverser la forêt sans crainte et aller à la ville. Mais, si elle ne croit plus aux monstres - bien que le suspense soit réamorcé par le travestissement d'Adrien Brody - elle croit toujours en une chose : l'Amour.
Il y a là une conception romantique des choses qui donne toute sa beauté au Village ( et à l'oeuvre du cinéaste en général, voir la fin de Phénomènes ). Dans un monde vicié par le mensonge et construit sur le factice, la vérité se trouve dans la pureté des sentiments humains et dans l'ouverture aux autres. Pour Shyamalan, croire en l'amour - et le vivre - c'est être à jamais incassable. On pourrait donc comprendre que certains trouvent ça niais, mais ce cinéma est au-dessus de la miévrerie et sa sincérité parle pour lui.
Tout est de toute façon question de subjectivité. Il en est de même quand Shyamalan se défend d'avoir établi une métaphore de la guerre en Irak avec Le Village. Le spectateur peut voir dans le film une parabole de l'Amérique post-11 septembre et des événements qui l'ont suivi.
Comment ne pas voir une métaphore des armes de destruction massive quand on découvre que l'histoire des monstres n'est qu'un mythe, inventé à des fins purement politiques ? Film sur la manipulation du pouvoir en place, Le Village ne peut donc qu'être un film sur George Bush, Colin Powell, Condoleeza Rice et les autres responsables du mensonge irakien.
Au-delà de l'actualité récente - et c'est peut-être là que Shyamalan voulait plus précisément amener son film - Le Village est aussi un commentaire sur l'histoire de l'Amérique et sa fermeture ( géographique ou spirituelle ) et donc la nocivité d'une telle posture qui empêche ses habitants de voir le monde extérieur.
Quand, à la fin du film, Ivy s'extirpe de sa prison, il y a quelque chose d'émouvant qui se crée. Surtout, et la notion de découverte du monde atteint ici son apogée, c'est grâce au monde extérieur que Lucius survivra ( les médicaments ).
Preuve s'il en était besoin que l'échange et l'ouverture aux autres peuvent être bénéfiques. Le sixième sens dont parle Shyamalan, ça n'est pas nécessairement le jeune Cole Sear qui le possède, mais davantage Ivy puisqu'elle est capable - malgré la cécité - de percevoir les autres et ce qu'ils ont de plus beau et noble. Voilà pourquoi l'héroïne du Village se démarque tant du reste de l'Humanité.
Grand film donc, porté par des comédiens formidables - Adrien Brody est juste génial - et rempli de plans d'une beauté envoûtante ( et tellement simples...), Le Village est une oeuvre effrayante où les monstres font autant peur que les hommes, qui confirme le talent d'un metteur en scène audacieux et important : Shyamalan est bien l'un des meilleurs cinéastes contemporains.