Dans Total Recall, Paul Verhoeven orchestre un ballet explosif entre action, science-fiction et satire sociale, où Arnold Schwarzenegger incarne un homme en quête de vérité sur sa propre existence. Basé sur la nouvelle de Philip K. Dick Souvenirs à vendre, ce film navigue à la frontière entre le réel et l’imaginaire, offrant un terrain fertile pour la réflexion… mais non sans trébucher sur ses propres ambitions.
L’histoire de Douglas Quaid (Schwarzenegger), un ouvrier hanté par des rêves récurrents de Mars, nous happe dès les premières minutes grâce à son concept audacieux : un implant de mémoire qui tourne mal et plonge le protagoniste dans une aventure où la réalité se dérobe. La quête identitaire de Quaid, teintée de conspirations gouvernementales et de luttes rebelles, maintient un rythme haletant. Cependant, une fois sur Mars, le scénario peine parfois à égaler l’éclat de son premier acte, basculant dans une série de résolutions attendues et de clichés de films d’action.
Verhoeven excelle dans l’art de poser des questions sur la réalité et la mémoire. La scène où Quaid rencontre le docteur Edgemar, affirmant qu’il est toujours en train de rêver, est magistrale, distillant une tension palpable qui élève le film bien au-delà des blockbusters classiques. Pourtant, cet équilibre subtil entre réflexion et divertissement s’efface dans la dernière ligne droite, où l’action effrénée prime sur les dilemmes existentiels.
Schwarzenegger, icône des films d’action, apporte à Quaid une physicalité indéniable. Il brille dans les scènes de combat et maîtrise parfaitement les répliques incisives. Mais son charisme ne suffit pas toujours à masquer une certaine rigidité émotionnelle qui limite l’exploration psychologique de son personnage. L’ambiguïté de Quaid – est-il un héros ou un pion ? – aurait pu être approfondie pour accentuer l’impact narratif.
Face à lui, Sharon Stone (Lori) et Rachel Ticotin (Melina) se démarquent par des performances dynamiques. Stone excelle dans son rôle d’épouse-espionne trompeuse, tandis que Ticotin incarne une combattante rebelle convaincante, bien qu’un peu sous-exploitée. Michael Ironside et Ronny Cox apportent quant à eux une solide dose de menace en tant que méchants archétypaux.
Avec un budget colossal pour l’époque, Total Recall impressionne par ses décors martiens et ses mutants grotesques, fruits du travail de Rob Bottin. La prostituée à trois seins et les transformations faciales de Quaid lors des scènes de décompression restent des images iconiques. Cependant, certains effets pratiques montrent aujourd’hui leurs limites, révélant une patine un peu vieillotte, notamment lors des scènes en miniature.
La direction artistique, dominée par des teintes rouges et un design brutaliste, reflète parfaitement l’atmosphère oppressante de la société martienne. Cependant, l’utilisation de décors mexicains pour les scènes terrestres donne parfois une impression de déconnexion visuelle.
Sous ses explosions et ses fusillades, Total Recall propose une critique acerbe des structures de pouvoir. La privatisation de l’air par Cohaagen, qui asphyxie littéralement les habitants de Mars, résonne encore aujourd’hui comme une métaphore cinglante du capitalisme débridé. Pourtant, cet angle thématique, pourtant riche, est souvent relégué au second plan au profit d’un déluge de violence.
L’ambiguïté fondamentale du film – rêve ou réalité ? – invite à des réflexions philosophiques captivantes. Cependant, le choix de rendre Quaid un héros musclé et invincible atténue parfois cette tension intellectuelle. Là où Verhoeven aurait pu approfondir la question de l’identité, il opte pour une résolution plus conventionnelle.
La bande originale de Jerry Goldsmith magnifie le film, alternant entre pulsations électroniques et envolées orchestrales. Sa musique accompagne parfaitement les moments de tension et d’émerveillement, renforçant l’immersion dans cet univers futuriste.
Total Recall est un film audacieux, riche en idées et porté par une mise en scène énergique. Paul Verhoeven parvient à équilibrer action et réflexion pendant une grande partie du récit, mais l’intensité de l’action finit par submerger les questions philosophiques qu’il soulève. Ce mélange inégal n’enlève pas au film son statut d’œuvre culte, mais le prive de la cohérence et de la profondeur qui auraient pu en faire un chef-d’œuvre.