MON PARFAIT INCONNU donne à voir et à ressentir la complexité des rapports de domination et de classe d’une façon très singulière. Loin de toute caricature et de tout naturalisme, la cinéaste prend le parti du symbolisme. Le mensonge apparaît comme le travestissement de la réalité, qui seul peut maintenir la fiction d’être ce qu’Ebba voudrait être. Survivre à la honte c’est sans doute ce qui pousse Ebba à la fabulation.
Sur le papier, le cinéma de boursouflé de Veit Helmer n’a rien de particulièrement vibrant. On peut donc ne pas être sensible à l’univers d’un cinéaste, et trouver une porte d’entrée singulière dans l’un de ses films. Devant Gondola, film délicat et généreux, on ressent un intérêt heureux pour cette fable onirique qui assume toute la poésie dont elle est capable.
Ode à la liberté de choisir son réel, EAT THE NIGHT de Caroline Poggi et Jonathan Vinel met face à face deux mondes pas si différents : sur Terre comme dans Darknoon, il y a des faibles et des puissants, on fait la guerre et on fait la fête, on trouve des amis, des histoires, des amours. Le jeu est filmé pour ce qu’il est : un espace social et affectif indispensable à de nombreuses vies.
Jouant avec l’espace-temps – et poétiquement –, Tunnel to Summer offre avec charme et subtilité un questionnement sur la nécessité de croire en soi et en un devenir, peut-être parce que "le futur, c'est perdre ce qu’on a maintenant, et voir naître quelque chose que l’on n’a pas encore".
Rithy Panh compose une fresque politique (les désillusions, les trahisons), tragique (la rencontre avec Pol Pot en forme d’acmé opératique est magnifique) et "romanesque" dans sa manière de brûler à la lumière impitoyable de la réalité les illusions dans lesquelles se baignèrent certains bien-pensants occidentaux de l’époque.
La beauté se tient d’ailleurs dans une caméra qui caresse longuement – souvent en plan-séquence – les corps comme la végétation dans ce qu’ils ont de plus éphémère et irremplaçable. Elle s’accorde au sensible. Le parti pris esthétique révèle la matière, les vibrations, les couleurs, à mesure que le désir circule et donne à sentir et ressentir la plénitude même de l’amour.
Film dans le film, jouant des codes de la comédie solaire et du théâtre grec et débordant de sexualité torride, The Summer with Carmen est une fantaisie profonde.
Ne pas se fier au triste titre choisi par les vendeurs : La vie selon Ann ("Ce sentiment que le temps de s’accomplir est passé", dans son titre original sommairement traduit) est une expérience qui mérite d’être vue en salle.
Maîtrisé et vulnérable, La Morsure est un film qui se construit, telle son héroïne, en imposant délicatement son univers et ses choix esthétiques, laissant, l’air de rien, une merveilleuse petite escarre dans le cerveau du spectateur.
Les figures mâles dessinent sans angélisme ni clichés abusifs un panorama allant d’une emprise toxique à une complicité impossible. Ses trois héroïnes (et autant de générations), emblématiques, mais nullement manichéennes, trouvent leur place dans les conventions d’une histoire construite sur un mouvement ininterrompu et exsangue. Joli coup d’essai…
Le film est tout sauf muséal. Il respire au contraire la beauté de la cinéphilie vivante et l’intelligence malicieuse de Christophe Honoré. Et célèbre pour leur huitième collaboration le talent inouï de Chiara Mastroianni, immense dans ce rôle fusionnel et dans cet hommage fétichiste autant que voluptueux à l’immortalité du septième art.
Refuge pour motards marginaux, les Vandals deviennent un groupe à la dangerosité nouvelle ; film de bande, The Bikeriders devient film de gang. Le destin qu’il offre alors à ses personnages permet à Nichols de pirater une dernière fois le système Scorsese, en remettant en perspective la notion même de rise and fall, et avec elle la place qu’occupent les femmes – et les actrices – dans toute l’histoire du film de mecs.
La singularité de L’Échappée est d'être le portrait sensible d’une jeune femme qui a traversé l’innommable, alors même que son statut aurait dû la protéger d'une disgrâce et d'en montrer toute la violence par touches, par réminiscences qui affleurent dans le corps et le cœur.
Point central de l’action pour un personnage bord-cadre, insaisissable, jamais complètement explicité, et dont les nombreuses zones de mystères et les dilemmes moraux repartent avec elle à l’issue de ce piège infernal.
Sur le papier, le nouveau film de Stéphane Brizé apparaît comme le paradigme souvent décourageant du drame bourgeois feutré et en huis clos. Sauf qu’à l’écran la délicatesse de son auteur et l’(im)pertinence de ses deux scénaristes (Marie Drucker est venue lui prêter main douce et forte) font la différence.
Un choix esthétique judicieux, car au noir et blanc des années 1970 répond une image en quasi sépia écrasée de lumière, gamme chromatique choisie pour la reconstitution contemporaine. Comme si, en marge du devoir de mémoire, le cinéaste opérait un glissement optique pour dire la résonance spectrale du réel lorsqu’il questionne la fiction.