Sans doute la série la plus célèbre produite par la chaîne HBO, « Les soprano » demeure encore culte plus de vingt après son apparition sur les écrans. Sur 6 saisons (quasiment 7, la dernière saison contenant 21 épisodes), la série créée par David Chase (scénariste de télévision déjà très expérimenté au moment de la création) immerge le spectateur dans l’univers de la mafia italo-américaine du New Jersey alors que les méthodes changent et que d’autres communautés entendent prendre leur part du gâteau. Tony Soprano (James Gadolfini), fils de Johnny Francis dit « Johnny Boy », soutien le parrain en place. Il ne va pas tarder à prendre la place quand Michael April meurt prématurément d’un cancer. L’histoire va suivre le parcours de la mafia du New Jersey durant sept longues années du règne mouvementé de Tony Soprano. Bénéficiant de la durée, même si l’on peut légitimement estimer que l’essentiel aurait pu largement tenir sur une ou deux saisons de moins, David Chase et son équipe de scénaristes ont pu livrer une étude complète des mœurs de la mafia qui le plus souvent a été présentée alternativement au gré de l’évolution d’Hollywood sous un angle mythologique ou carrément déshumanisé. Le casting constitué quasiment uniquement d’acteurs italo-américains a grandement favorisé la crédibilité de l’entreprise grâce à des physiques cohérents mais aussi une gestuelle appropriée. L’intrigue se permet certaines ellipses parfois surprenantes, voyant des personnages apparaître que l’on peut penser importants et qui disparaissent sans crier gare à l’épisode suivant. Cette petite faiblesse récurrente n’est pas trop dommageable, la loupe étant bien sûr focalisée sur l’entourage proche (amis ou ennemis) de Tony Soprano que l’on voit évoluer aussi bien mentalement que physiquement au fil des saisons (la série a duré presque huit ans). Très finement brossé, le portrait psychologique de chacun des personnages importants nous montre des mafiosi apparemment sujets aux mêmes tourments que le quidam moyen devant son poste de télévision. Mais ce qui ressort clairement et de manière systématique, c’est une capacité à ôter la vie que ce soit sur commande ou parfois gratuitement qui démontre que Tony Soprano et ses ouailles ne sont justement pas faits du même bois que le spectateur évoqué plus haut. Des personnages tous hauts en couleurs, capables comme Paulie Gualtieri (Tony Sirico), fidèle porte-flingue de Soprano d’être aux petits soins pour sa vieille mère après avoir trempé dans l’acide un contrat ou de s’inquiéter d’un simple rhume pour ensuite braver la mort sans sourciller lors d’une mission périlleuse. Un univers qui prête à sourire autant qu’il terrifie. Bel exemple de la nature humaine si complexe et paradoxale. Un univers machiste comme il se doit où les femmes ne sont là que pour le repos du guerrier à la maison lors du retour au foyer douillet ou encore pour la bagatelle lors des nombreuses virées entre potes. Un univers où l’on se saisit très facilement par le cou pour s’embrasser et se manifester amitié et fidélité en sachant très bien que cette façade aimable est très facilement réversible pas comme la peau des manteaux de vison portés par toutes ces dames ou maîtresses qui sont certes dominées mais qui y trouvent tout de même de manière ostensible quelques compensations. Tony Soprano parvenu au sommet de son clan semble parfaitement tenir les affaires mais sa conscience souvent le taraude qui l’amène à gérer des paradoxes douloureux, générateurs de crises d’angoisse qu’il tente d’apaiser à sa façon chez une psychiatre au charme irrésistible interprétée par l’excellente Lorraine Bracco qui connaît un peu le sujet pour avoir été l’épouse du regretté Ray Liotta quelques années auparavant dans « Les affranchis » de Martin Scorsese (1990). Sans aucun doute le réservoir des meilleures scènes de la série. On n’imagine certes pas Humphrey Bogart, Robert Mitchum, James Cagney, Edward G Robinson ou Marlon Brando s’allonger sur le divan mais comme on l’a dit, 81 épisodes autorisent des détours surprenants qui peuvent aider à mieux cerner la complexité du personnage principal mais aussi son évolution au fil des événements. La réussite d’une série peut s’apprécier au plaisir qu’a le spectateur à se retrouver tous les soirs en face de personnages qui vont faire, pour quelques semaines ou quelques mois, un peu partie de sa famille. De ce point de vue tout est parfait qu’il s’agisse des personnages récurrents tous succulement interprétés (Edie Falco, Michael Imperioli, Steven Van Zandt, Tony Sirico, Aïda Turturro, Lorraine Braco, Dominci Chianese, Drea de Matteo, Vincent Curatola ou Joe Panteliano) ou des personnages périphériques qui relancent promptement l’intrigue (Steve Buscemi, David Proval, Frank Vincent, Annabella Sciorra). Les enfants gâtés que sont les deux rejetons Soprano qui grandissent avec les saisons qui passent, illustrent avec acuité l’évolution des mœurs et de la société, donnant à la série un caractère prémonitoire quant à l’état actuel de nos sociétés occidentales. En somme une réussite complète qui a malheureusement vu le regretté James Gandolfini succomber en 2013 au mal que tous ses adjoints redoutaient ou espéraient pour ce chef de clan, aussi conciliant que parfois injuste et impitoyable, qu’ils voyaient tel un glouton ou un ours mal léché se gaver de pâtisseries et de charcuterie. A voir absolument