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    "A Serbian Film" : l'interview-choc !

    "A Serbian Film" est LE film-scandale du moment. Sexe, violence, cruauté,... : il n'a aucune limite et fait trembler les festivals qui osent le programmer. A l'occasion de sa récente présentation à l'Etrange Festival, AlloCiné a rencontré le scénariste Aleksandar Radivojevic pour en savoir plus.

    Cannes 2010. Marché du Film. Projection de A Serbian Film, réalisé par Srdjan Spasojevic, et la rumeur enfle dans les couloirs. Un acheteur se serait évanoui. La "légende" du film est lancée. Il faut dire que A Serbian Film réunit tout ce qu'il faut pour obtenir l'étiquette du film-scandale ultime : scènes de tortures, sadisme appuyé, virée sordide dans l'univers du porno ou encore scènes de viols (dont le point culminant est le viol... d'un nouveau-né !) : difficile d'aller plus loin dans l'horreur ou de croire à un message quelconque. Et pourtant, les auteurs de A Serbian Film, qui secoue chaque festival dans lequel il passe (s'il n'est pas déprogrammé à la dernière minute !), défendent bec et ongles cette histoire d'un acteur porno à la retraite qui va rencontrer un réalisateur X et accepter une offre défiant toute morale. Nous avons rencontré le scénariste Aleksandar Radivojevic lors de la projection du film au récent Etrange Festival, à Paris. L'occasion pour lui d'insister sur le fait que A Serbian Film est une parabole sur la société et sur les souffrances endurées par le peuple serbe. L'occasion également d'évoquer le cinéma d'horreur en général, et les récents films français du genre en particulier. Interview-choc !

    AlloCiné : Beaucoup de choses ont été dites sur "A Serbian Film". Beaucoup de choses ont été lues sur "A Serbian Film". Vous attendiez-vous à toute cette polémique ?

    Aleksandar Radivojevic : Je savais ce qu'il y avait dans le film. Donc, forcément, du point de vue de son contenu "direct", si je peux m'exprimer ainsi, je m'attendais à ce qu'il fasse scandale. D'ailleurs, je pense qu'on est forcément obligé d'aboutir à un scandale avec un tel film, surtout dans le climat actuel, dans la relation qu'ont les gens avec le politiquement incorrect. C'est l'un des thèmes de A Serbian Film : la terreur actuelle du politiquement incorrect, la corrélation qu'il peut y avoir entre un spectateur et un film dont le contenu est très violent. Mais derrière cette violence, ce mélange de sexe et de violence qui effraie les gens, il y a un sens qui est important à mes yeux.

    Quel est ce sens ? Car en effet, le film peut logiquement paraître complaisant pour la majorité du public. En se contentant de regarder la bande-annonce, mais même en regardant le film en entier...

    C'est vrai que le film est très violent. Et c'est vrai qu'on peut facilement dire que c'est gratuit ou même... juste stupide et irresponsable. Mais il faut comprendre qu'il s'agit d'une parabole de la violence qui sévit dans le monde. A Serbian Film est une fable morale sur la perte de l'innocence. Et en tant que Serbe, il s'agit aussi d'une parabole sur ce que nous avons vécu en Serbie. On nous a volé quinze ans de notre vie avec la guerre, les gens qui gouvernaient le pays nous ont volé ces années. Nous ne pouvions pas nous exprimer, nous ne pouvions rien faire. Nous étions culturellement morts, comme violés par l'autorité. Le film est la représentation de toute cette frustration et de toute cette colère enfouie en nous pendant ces années. C'est un exutoire, une manière d'exorciser ces souffrances, cette exploitation dont nous avons été victimes. Je sais que beaucoup ne vont pas trop y croire, mais je vous assure que c'est très métaphorique dans ce sens.

    Il y a une scène qui marque plus que les autres...

    La fameuse scène du viol du nouveau-né, bien sûr. Là encore, il faut comprendre qu'il s'agit d'une métaphore. Bien sûr que balancé comme ça, sans recul, c'est horrible ! Tout le monde aujourd'hui regarde un film et le prend pour LA réalité, tout le monde croit qu'il s'agit de la réalité. Il n'y a plus de distance. Il faut se dire que le bébé, ici, est une marionnette. C'est une idée, cela représente le fait que nous-mêmes sommes maltraités au quotidien. Nous sommes malmenés de la naissance jusqu'au cercueil.

    En fait, il faudrait que vous veniez parler du film aux spectateurs avant qu'ils le voient !

    Oui (rires) ! Mais je pense que lorsqu'on explique trop un film aux gens, on a tendance à un peu prostituer le sens du film en question. Je ne suis pas très à l'aise pour en parler aux spectateurs, je pense que le film parle pour lui-même. Je suis conscient qu'il comporte des scènes très violentes, mais les gens "sentent" le sens derrière la violence, j'en suis intimement persuadé. Mais je comprends qu'ils soient choqués. Aujourd'hui, ils sont trop habitués au politiquement correct. La subversion qui était possible dans les années 70, avec Bernardo Bertolucci ou Pier Paolo Pasolini, ne l'est plus aujourd'hui. Je pense que certains des films tournés à l'époque ne pourraient pas être montrés aujourd'hui. J'aime le type de liberté de cette époque.

    Le film d'horreur est-il le genre idéal pour faire passer un message ?

    C'est l'un des médiums les plus efficaces, sans aucun doute ! J'adore les films d'horreur, car ils vont toujours aller décrypter quelque chose, ils permettent en quelque sorte de percer à travers les choses pour faire passer un message. Ils possèdent un pouvoir incroyable. Un film d'horreur peut avoir une forte portée politique ou une forte portée satirique. George A. Romero ou John Carpenter sont les maîtres en la matière. Il y a un grand potentiel dans le genre horrifique.

    Vous citez David Cronenberg comme référence majeure pour "A Serbian Film"...

    Videodrome de David Cronenberg est une référence très importante, car le film aborde comme A Serbian Film l'univers du snuff et la manipulation politique. C'est l'un de mes films préférés. Pour l'atmosphère qui se dégage de A Serbian Film, on peut penser à Angel Heart d'Alan Parker. Et puis nous nous sommes également inspirés de films d'horreur français récents comme Haute tension, Martyrs ou, celui que je préfère, A l'intérieur. J'adore cette nouvelle vague dans le cinéma d'horreur français. Il y a une férocité réjouissante. C'est très beau au niveau du style, ça commence un peu à l'américaine, le public se laisse séduire, se laisse charmer, voit quelque chose de beau, d'agréable. Il est un peu manipulé, et soudain, le film vous prend subitement à la gorge à mi-chemin, il y a un revirement brutal, féroce. J'adore la manière dont les films d'horreurs français jouent avec cette cassure.

    Vous avez écrit ce qui est sans doute l'un des films les plus choquants de ces dernières années. Etes-vous encore choqué au cinéma ?

    Oui, bien sûr. Pas forcément par le cinéma d'horreur et par des scènes très gores, d'ailleurs. Quand des choses sont cruelles, injustes, je suis choqué, comme tout le monde. Derrière A Serbian Film, il y a de la cruauté et de l'injustice à condamner. Ce sont ces choses à condamner que je trouve choquantes.

    Propos recueillis pas Clément Cuyer - Septembre 2010

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