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    Warcraft, Assassin's Creed... Les éditeurs de jeux vidéo enfin à l'abordage du cinéma
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Avec les sorties de "Warcraft" et prochainement "Assassin's Creed", les éditeurs de jeux vidéo entendent reprendre la main face aux Majors, en étant désormais très étroitement associés aux adaptations de leurs licences sur grands et petits écrans.

    Durant des années, les éditeurs de jeux vidéo se sont contentés de vendre leurs licences aux Majors pour les voir in Fine (mal) adaptées au cinéma ou exploitées dans un format adapté pour la télévision. Mais avec les sorties du très attendu Warcraft ce 25 mai et du non moins attendu Assassin's Creed en décembre, on assiste peut être à un vrai tournant.

    Celui qui consiste à reprendre la main vis-à-vis des Majors concernant l'exploitation de leurs catalogues vidéoludiques sur petits et grands écran; a être étroitement associé aux développements des films ou programmes télévisés afin de valoriser au mieux des marques extrêmement puissantes. Quitte à se lancer soi-même dans la bataille, comme l'a fait Ubisoft.

    Bien sûr, il existe encore des contres-exemples à cela : la Fox, propriétaire des droits d'exploitation de la licence Hitman côté cinéma, a livré récemment un Agent 47 de triste mémoire; sans que l'éditeur du jeu, Square Enix, ou le studio de développement de la licence, IO Interactive, ne soient intervenus sur le développement du film.

    Reste que ces dernières années, plusieurs éditeurs, et non des moindres, ont changé leurs fusils d'épaule concernant la gestion de leurs licences, redéfinissant parfois leurs liens tissés avec les Majors du cinéma. Explications.

    Ubisoft ou le don d'ubiquité

    Le don d'ubiquité ou l'art se de démultiplier, était finalement au coeur de l'ADN de l'éditeur français Ubisoft, 3e éditeur indépendant de jeux vidéo au monde. En avril 2011, il annoncait la création de Ubisoft Motion Pictures. Objectif : valoriser ses franchises en adaptant ses licences jeux vidéo au cinéma et à la télévision. Depuis plusieurs années déjà, l'éditeur avait adopté une stratégie de développement transmédias. On se souvient encore du rachat en 2008 du studio de SFX Hybride Technologies par exemple, qui a notamment travaillé sur 300, Sin City, Avatar ou plus récemment sur le Réveil de la Force.

    En novembre 2009, nous avions rencontré Pierre Raymond, le PDG de la société, lors de la présentation parisienne de la série de courts métrages Assassin's Creed Lineage, qui mélangeaient décors virtuels et vrais acteurs. L'objectif était très clair : des courts en guise de galops d'essais, avant de tenter de jouer dans la cour des grands avec un long métrage. "Nous qui travaillons beaucoup avec Hollywood, je peux vous dire qu'ils regardent avec beaucoup, beaucoup d'intérêt quelles vont être les prochaines exploitations cinématographiques de nos licences" nous disait Pierre Raymond. De court métrage avant de devenir un long que doit réaliser Michael Bay, il en sera aussi question avec Ghost Recon Alpha en 2010, produit par Ridley Scott et signé par l'équipe derrière le court oscarisé Logorama.

    Afin de développer sa nouvelle entité Ubisoft Motion Pictures, l'éditeur s'était adjoint les services de trois poids lourds. Jean-Julien Baronnet (parti depuis), ex directeur général d'EuropaCorp et de Rhodia, fut nommé à la tête de la filiale. Didier Lupfer, ex M6, TPS et Canal +, producteur du multi césarisé Gainsbourg - (vie héroïque), fut en charge de la production et du développement. Enfin Jean de Rivières, qui a passé 14 ans à la distribution chez Disney, avant un passage chez EuropaCorp, fut nommé responsable du Marketing et de la distribution à l'international.

    "En arrivant chez Ubisoft, notre premier travail à tous les trois a été d'analyser et de digérer ces franchises de façon à déterminer pour chacune d'entre elle vers quel format les adapter : long métrage, série télé, programme de flux. Avec l'objectif de maîtriser le développement et la production en interne" expliquait alors Jean-Julien Baronnet, dans un entretien publié par Le Film français. Alors que dans le secteur du cinéma et de la TV, les financements sont bouclés avant tout lancement en production, ce modèle "n'apparaît pas comme une prise de risque majeure face à des jeux vidéo dans lesquels la société peut investir jusqu'à 30 millions d'euros par titre sur fonds propres".

    Outre les annonces de plusieurs projets de films dans les cartons (Ghost Recon, Splinter Cell, Assassin's Creed, Watch Dogs...), Ubisoft annonça également l'arrivée des Lapins crétins non seulement au cinéma, sous la forme d'un long métrage d'animation, mais avant tout sous forme d'une série TV animée diffusée sur France 3 à partir d'octobre 2013.

    Ci-dessous, un extrait de la série des Lapins crétins...

    Pour Ubisoft, il s'agit donc de développer ces projets et notamment les histoires en étroite synergie avec les studios de développement des jeux. Question de cohérence. Mais aussi parce que l'éditeur souhaitait éviter à tout prix une déconnexion entre le positionnement du jeu et celui du film, "qui peut potentiellement détruire de la valeur au niveau de son core business" soulignait le Film Français.

    Et Didier Lupfer, vice-président en charge de la production, d'enfoncer le clou : "chaque adaptation devra correspondre à l'ADN du jeu et fonctionner, que l'on soit joueur ou non. [...] Nous avons un avantage concurrentiel fort sur la maîtrise des coûts de production en jouant pleinement les synergies avec les 23 studios de création et de production dans le monde. Les logiciels créés pour les jeux permettront notamment d'optimiser la phase de préproduction". On imagine sans peine que pour Assassin's Creed, ils ont dû tourner à plein régime...

    Ci-dessous, la bande-annonce d'Assassin's Creed, avec dans le rôle titre Michael Fassbender, par ailleurs producteur du film. Un opus cinématographique considéré comme "canon", ancré très officiellement dans la chronologie de la saga vidéoludique.

    Activision - Blizzard s'invite à la table

    Le studio de développement Blizzard Entertainment a toujours fait preuve d'une très grande indépendance, se payant même le luxe de sortir ses jeux uniquement "When it's Done". Un perfectionnisme qui a beaucoup fait pour sa réputation auprès des fans. En clair : les peaufiner le temps qu'il faut pour un résultat parfait ou presque, quitte à ce que cela se compte parfois en années. Il suffit pour s'en convaincre de se souvenir d'une certaine arlésienne du nom de Diablo III... Peu de studios dans le monde peuvent en vérité s'offrir un tel luxe, là où les concurrents sont régulièrement pressés comme des citrons par des éditeurs ayant les yeux rivés sur le calendrier.

    Certains l'ignorent, mais Blizzard est aussi réputé pour son savoir faire et son degré de finition des cinématiques de ses jeux. Toutes sont faites en interne, là où la concurrence externalise le plus souvent leur fabrication (chez Blur notamment, une des meilleures sociétés au monde spécialisées sur ce sujet). A ce titre, on n'est pas surpris de la très grande qualité des courts animés réalisés par Blizzard pour accompagner la sortie de son prochain jeu, Overwatch. Techniquement, ils sont même capable de se hisser à la hauteur d'un Pixar.

    Ci-dessous, voici "En vie", le second court-métrage sur l'univers d'OverWatch, mettant en scène le personnage de "Fatale"...

    Et voici, pour le plaisir, l'extraordinaire cinématique que Blizzard avait faite pour la sortie de l'extension "La colère du roi Liche" pour son jeu World of Warcraft, en 2010. "Mon fils... Au jour de ta naissance, même les forêts de Lordaeron ont murmuré ton nom...Arthas". Epique.

    Outre ce perfectionnisme, Blizzard est également connu pour être particulièrement protecteur et sourcilleux vis-à-vis de ses licences. Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si c'est lui-même qui fit l'annonce de la mise en chantier du futur film Warcraft, lors de la Blizzcon 2006 (le grand rassemblement annuel des fans des productions Blizzard). Depuis, le studio a suivi le -très long- développement du film comme le lait sur le feu, ayant notamment un droit de regard sur le script, de validation ou non du réalisateur, des éventuelles modifications apportés par le script sur la Lore (le background) de l'univers de Warcraft...

    Ci-dessous, la bande-annonce du film "Warcraft", premier galop d'essai sur grand écran de Blizzard...

    Dans cet exercice étroit de contrôle de licences "maisons", un important pas supplémentaire a été franchi en novembre 2015, quatre ans après Ubisoft; même si la rumeur courrait déjà activement depuis août 2014. Activision - Blizzard annoncait la naissance de l'entité Activision - Blizzard Studios, dont le but est de créer du contenu exploitant logiquement le catalogue de l'éditeur, que ce soit des films ou des séries. Les premières productions seront une série TV basée sur la licence trois fois milliardaire Skylanders (et aux 250 millions de figurines vendues depuis 2011...), déjà en cours de production sous la houlette de l'auteur-producteur Eric Rogers (Futurama), ainsi qu'une série de films basés sur l'autre martingale de l'éditeur, Call of Duty. Et, sans doute dans un avenir plus ou moins proche, des licences Blizzard telles que Starcraft, Diablo...

    Activision - Blizzard Studios

    Histoire de mettre toutes les chances de son côté, l'éditeur s'est là aussi entouré de pointures. Il a recruté Nick Van Dyk, ancien dirigeant senior chez Walt Disney Company pendant 9 ans, où, en tant que Vice-Président Senior de la stratégie du groupe, il a contribué à mettre l'accent sur la propriété intellectuelle de la franchise Disney et a joué un rôle significatif dans l’acquisition de Pixar, Marvel et Lucasfilm. Pas vraiment le profil du débutant.

    Pour épauler Nick Van Dyk dans sa gestion d'Activision - Blizzard Studios, l'éditeur a recruté en janvier 2016 la productrice Stacey Sher. Le pedigree de l'intéressée force le respect, si l'on en juge par son tableau de chasse. Auréolée de deux nominations aux Oscars, elle a produit plus d’une vingtaine de films, dont la dernière réalisation de Quentin Tarantino, Les Huit Salopards. Mais aussi Django Unchained et Pulp Fiction. Elle a également produit trois films réalisés par Steven Soderbergh : Contagion, Erin Brockovich, et Hors d'atteinte. Tout comme Bienvenue à Gattaca, Man on the Moon, Génération 90, Get shorty et sa suite Be Cool, la série de la chaîne AMC Into the Badlands...

    "Stacey est un talent précieux, à l’origine de deux décennies de récompenses de séries TV et de films. Avec sa capacité à collaborer avec les personnes les plus talentueuses et inspirantes du monde du divertissement et par son engagement créatif inébranlable, Stacey a le profil parfait pour diriger Activision Blizzard Studios" déclarait Bobby Kotick, le PDG d'Activision Blizzard. Et d'ajouter : "En tant que gardiens de certaines des franchises de divertissement les plus populaires au monde, nous souhaitons les porter à la télévision et au cinéma de manière créative et réfléchie qui honorera l’engagement de nos fans pour nos jeux." Voilà pour la déclaration d'intention.

    Ci-dessous, la bande-annonce du prochain opus vidéoludique Call of Duty, "Infinite Warfare"... En attendant prochainement le film ?

    Le pari est très ambitieux. Mais, tout comme Ubisoft, Activision - Blizzard a les moyens de ses ambitions. Pour situer un peu les choses, on rappellera pour la forme que l'éditeur a racheté fin 2015 la société King Digital Entertainment, éditrice du célèbre jeu sur mobile Candy Crush, pour la bagatelle de 5,9 milliards de dollars. Une somme sans doute très surestimée et pas vraiment en rapport avec la valeur intrinsèque de la société King Digital. Mais peu importe. Les poches de l'éditeur américain semblent sans fond.

    Comme un oiseau (énervé) sur la branche...

    Puisque l'on parle brièvement de King Digital et son increvable Candy Crush saga, aucune raison de ne pas évoquer la Success Story d'Angry Birds. Sorti sans crier gare en 2009, le jeu Angry Birds a connu un succès planétaire aussi immédiat que foudroyant. Et lorsqu'on dit planétaire, ce n'est pas un effet de manche : on parle d'un jeu qui a été téléchargé plus de trois milliards de fois depuis sa sortie et au gré des différentes versions. Oui oui, trois milliards. Angry Birds, ce sont plus de 200 millions de personnes y jouant chaque mois.

    Rovio

    Derrière ce succès se trouve un studio de développement finlandais du nom de Rovio. Et son appétit est féroce : il a pris pied au cinéma avec l'adaptation en film d'animation de l'univers de sa martingale vidéoludique. Associé à Sony Pictures, Rovio joue gros, avec un film d'animation qui a coûté, budget marketing inclu, environ 175 millions d'euros. Film pour lequel Rovio a d'ailleurs recruté John Cohen, producteur du film d'animation Moi, moche et méchant, et David Maisel, ancien président de Marvel Studios, comme producteur exécutif. Un succès massif du long métrage doit aussi permettre de relancer les ventes des produits dérivés, qui constituent une des principales sources de revenus pour Rovio, aux côtés des jeux sur Smartphones. Si la Success Story mouvementée et aux allures de montagnes russes d'Angry Birds et de son éditeur Rovio vous intéresse, nous avons récemment consacré un article à ce sujet.

    Ci-dessous, la bande-annonce du film d'animation "Angry Birds"...

    Sega, Nintendo et les autres

    Ce constat de reprise en main de l'exploitation des licences vidéoludiques devient incontestablement une tendance lourde lorsqu'on ajoute au panier des éditeurs les anciens frères ennemis Nintendo et Sega. Shigeru Miyamoto, le papa de Mario et Zelda, expliquait en août 2015 que l'éditeur n'était pas contre le retour de ses licences au cinéma.

    Dans une toute récente interview accordée au quotidien nippon Asahi Shimbun, le PDG de Nintendo, Tatsumi Kimishima, indique même être en discussion avec des partenaires potentiels dans le but de produire des films animés dans les cinq prochaines années. Avec une grande nuance : "cette fois-ci, l'idée est de nous auto-produire et faire nous-même ces films et ne pas se contenter de vendre les droits. [...] Nous pourrions faire quelque chose comme le fait Disney et Pixar". La bonne nouvelle, c'est qu'on sait que Shigeru Miyamoto sera impliqué dans ce développement stratégique, même si les contours de son poste restent encore à définir.

    Si l'an dernier une tenace rumeur -démentie par Nintendo- évoquait la mise en chantier d'une série produite par Netflix sur une adaptation de Zelda, il faut quand même savoir que l'intérêt de l'éditeur pour le medium du cinéma et du format TV n'est pas nouveau. C'est même une de ses plus grosses licences qui a ouvert le bal des adaptations de licences de jeux vidéo au cinéma, avec le catastrophique Super Mario Bros. en 1993. Un film sur lequel Nintendo fondait de gros espoirs à l'époque. L'expérience fut en fait si cuisante pour l'éditeur qu'il s'est depuis refusé à remettre un pied au cinéma, jusqu'à aujourd'hui, tant il était hanté par cet échec.

    Ci-dessous, la bande-annonce de l'objet du délit, devenu culte avec le temps...

    Pendant ce temps là, dans la tranchée d'en face, Sega ne reste lui aussi pas inactif. Encore tout récemment, fin avril 2016, l'éditeur annonçait travailler à la mise sur pied d'une adaptation de l'une de ses licences fétiches : Shinobi, qui a vu le jour sur borne d'arcade en 1987. Pour ce projet, Sega travaille avec le producteur Marc Platt, à qui l'on doit Into the Woods ou Scott Pilgrim vs the World. Pour bâtir ses projets d'adaptations au cinéma, Sega a en fait mis sur pied depuis 2011 une Joint Venture du nom de Stories International. Dans ses cartons, quelques projets maison : des adaptations de Golden Axe, Altered Beast, Crazy Taxi, Virtua Fighter. Et Shinobi donc.

    Quid enfin d'un éditeur mastodonte comme Electronic Arts pesant plusieurs milliards de dollars ? Il serait surprenant que ce géant de l'industrie vidéoludique n'emboîte pas le pas à ses concurrents Ubisoft et Activision - Blizzard. Pour l'heure, E.A. est crédité en tant que producteur du film Need for Speed, sorti en 2014. Certes, pas vraiment la licence qui brille par son scénario. Mais c'est un début. Car il faut se souvenir que certaines de ses licences ont déjà été confiées en vue d'être adaptées prochainement. C'est notamment le cas du Space Opera Mass Effect, qui doit être réalisé sous la bannière de Legendary Pictures. Mais aussi Dante's Inferno, que le réalisateur uruguayen Fede Alvarez est supposé réaliser.

    Ci-dessous, la bande-annonce du jeu Dante's Inferno, sorti en 2010. Pour l'anecdote, c'est au génial Wayne Barlowe, qui a travaillé sur Blade 2, Hellboy II les légions d'or maudites ou encore Avatar, que l'on doit l'identité visuelle du titre...

    In Fine, il reste à espérer, en guise de conclusion, que les longs métrages Warcraft et Assassin's creed fonctionnent suffisamment bien en salle. L'inverse serait évidemment une catastrophe, puisque non seulement cela hypothèquerait toute probabilité de suites, mais enverrait en outre un très mauvais signal au moment même où les éditeurs de jeux vidéo tentent d'inverser les rapports de forces avec les Majors quant à l'exploitation de leurs licences sur grand écran.

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