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    Downsizing vu par son réalisateur Alexander Payne : "Je ne cours pas après la SF comme un geek"

    Oscarisé à deux reprises pour l’écriture de "Sideways" et "The Descendants", le cinéaste s’essaie à la science-fiction et fait équipe pour la première fois avec Matt Damon pour "Downsizing". Retour sur son étonnante carrière.

    Gauthier Jurgensen

    AlloCiné : Avant de vous mettre au cinéma, vous avez étudié la littérature espagnole. Est-ce pourquoi vous n’avez presque rien tourné avant vos 30 ans ?

    Alexander Payne : A l’université, j’ai étudié à la fois l’histoire et la littérature espagnole. A l’époque, je me voyais soit journaliste, soit dans le cinéma. Toutes ces disciplines s’intéressent à l’aventure humaine : ce que font les gens et pourquoi ils le font. J’ai suivi le cursus de UCLA [l’Université de Cinéma de Los Angeles, ndlr] de 23 à 29 ans et j’ai terminé mes études par un court métrage de cinquante minutes, The Passion of Martin, librement inspiré d’un de mes romans argentins préférés : “El túnel” d’Ernesto Sábato. Mes études en littérature hispanique ont donc tout de suite trouvé un écho dans ma carrière cinématographique.

    Jim Taylor est le co-auteur du scénario de Downsizing. Vous travaillez avec lui depuis si longtemps, et pourtant vous ne vous étiez pas retrouvés depuis Sideways en 2004 !

    Oui, sauf que nous avons commencé l’aventure Downsizing en 2006. Puis en 2007, 2008… Le scénario a mis très longtemps à se construire. Ça a été le Viêt-Nam des scénarios. On a réécrit, on est repartis de zéro en 2015, juste avant le tournage. On ne s’est jamais vraiment séparés. On s’est rencontrés, Jim et moi, après la fac, quand on a emménagé à Los Angeles. Lui devait travailler à Canon Films. Moi, j’étais inscrit à UCLA. Sans entrer dans les détails, disons que là où je vivais à Los Angeles au début, j’étais en coloc avec une fille qui connaissait Jim Taylor de la fac. Quand j'ai déménagé, ma voisine du dessus était la petite amie de Jim Taylor. Je l’ai croisé dans le couloir et me suis souvenu de l’avoir déjà vu quelque part. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Trois ans plus tard, j’ai rompu avec une copine avec laquelle j’étais depuis sept ans. Après son départ j’ai eu besoin d’un coloc. Ça tombait à pic pour Jim. Voilà comment nous sommes devenus très proches, au point d'écrire ensemble, en commençant par des courts. Et puis Citizen Ruth... et on ne s’est plus quittés. On mesure notre chance. Quand nous travaillons ensemble, on dirait les deux lobes d’un même cerveau. Et pas une dispute en 25 ans.

    Souvent, vos films évoquent des hommes qui prennent de la bouteille et perdent leur conjoint. Pourquoi ce thème si présent ?

    Disons qu’ils perdent généralement quelque chose qui les définit. Leur carrière, leur terre, peu importe. Mais ça peut en effet se retrouver dans le veuvage.

    2017 Paramount Pictures All Rights Reserved

    La perte de l’amour est là dès votre premier court métrage, Carmen.

    Où l’avez-vous vu ? Sur Internet ?

    Pas un film ne nous échappe.

    Ça me fait penser que, dans deux semaines, l’éditeur américain Criterion va ressortir The Passion of Martin, un de mes premiers courts métrages, en complément du film L’Arriviste, enfin ! Il y aura aussi quelques petits projets de fin d’études que j’avais faits. L’Arriviste, c’est mon meilleur film. Du moins, c’est celui qui me vaut le plus de compliments. C’est aussi le seul film de ma carrière qui ne soit pas trop long. Il a un super rythme.

    Vous le dites à titre personnel, en tant que cinéaste ?

    Oui : le seul de mes autres films  qui ne soit pas trop long, c’est mon court métrage de six minutes pour Paris, je t’aime. Tous les autres sont bien aussi, mais ils ont un ventre mou, à un moment. L’Arriviste, c’est un véritable requin que rien n’arrête.

    Le superviseur des effets spéciaux a compilé cinq ou dix minutes d’autres films sur des héros miniaturisés précisément pour que nous puissions nous faire une idée de ce que nous ne voulions pas faire.

    Quelles que soient les circonstances, vos personnages se retrouvent seuls, comme Matt Damon dans Downsizing. Pourquoi ?

    Apparemment, mon co-scénariste Jim Taylor et moi-même, nous trouvons cela intéressant de confisquer à un homme ce qui compose son caractère. Ainsi il ne peut que se confronter à sa vraie nature. Mais j’estime avoir fait le tour du sujet. Ça devient prévisible. Jusque-là, ça a été notre archétype préféré. Citizen Ruth était un film différent. Sideways est un peu comme ça, mais pas seulement. L’héroïne de Paris, je t’aime est juste seule…

    Elle précise tout de même qu’elle avait un conjoint et qu’il est parti.

    C’est vrai, j’avais oublié !

    Downsizing met en scène des personnages miniaturisés dans notre monde moderne. Difficile de ne pas penser à Chérie, j’ai rétréci les gosses. Ça vous a posé un problème ?

    Non, parce que je ne l’ai pas vu. C’est iconique pour vous parce que c’est sorti quand vous étiez petit. Pour tout vous dire, le superviseur des effets spéciaux a compilé cinq ou dix minutes d’autres films sur des héros miniaturisés précisément pour que nous puissions nous faire une idée de ce que nous ne voulions pas faire. On s’est détournés de tous ces films pour être plus libres de faire le nôtre. On aurait aussi pu parler de L’Homme qui rétrécit de Jack Arnold.

    Justement : dans Chérie, j’ai rétréci les gosses comme dans L’Homme qui rétrécit, le principal problème qui se pose au cinéaste, c’est le gigantisme. Se retrouver nez à nez avec une fourmi, une araignée… Votre film contourne cet obstacle. Pourquoi ?

    Nous avons préféré introduire des astuces dans le scénario. Pour la pluie, par exemple, nous avons fait en sorte qu’un filet protège les communautés de l’eau, des oiseaux et des insectes. Sans s’attarder sur le sujet, nous indiquons au spectateur que la ville qui accueille les personnages miniaturisés repose sur une terre qui a été stérilisée, pour éviter les vers, les larves de cigales qui se réveillent après dix-sept ans de gestation, les fourmis…

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    Vous avez voulu recentrer davantage le propos autour des questions politiques et écologiques.

    Oui : avec davantage d’argent, nous nous serions peut-être plus amusés avec les effets spéciaux.

    Ça me semble irresponsable de faire des films sans en profiter pour passer un message politique.

    Ces questions politiques reviennent dans votre cinéma, vingt ans après Citizen Ruth et L’Arriviste. Que s’est-il passé ?

    Après le succès modeste de Sideways en 2004 / 2005, j’avais deux idées. La première : un film plus ambitieux. La deuxième : Bush venant d’être réélu,  je voulais faire quelque chose qui témoigne de notre conscience politique. Ça me semble irresponsable de faire des films sans en profiter pour passer un message politique. Le simple fait que nous soyons sur le registre de la comédie et de la satire rend cette urgence encore plus savoureuse. Mes trois films préférés sont Le DictateurJeux dangereux et Docteur Folamour. Et je ne suis pas le seul ! Les gens réagissent par la comédie, souvent. En plus, on a Trump, maintenant. Alors qu’on croyait avoir touché le fond avec Bush ! Bref, c’est ce qui stimule le contestataire en moi, mais on ne peut pas prendre le sujet à bras le corps. Il faut passer par la métaphore. Et j’ai pensé que ce thème de la miniaturisation serait un bon dispositif pour une critique politique pas forcément incisive, mais amusante. On y reconnaît simplement le climat politique dans lequel nous vivons. Vous savez : comme dans Metropolis, avec les ouvriers en arrière-plan.

    United International Pictures (UIP)

    C’est aussi votre retour à la science-fiction, délaissée depuis que vous avez écrit le scénario de Jurassic Park 3 !

    Attention : ça, c’était juste un petit boulot. Quatre semaines de travail pour Jim Taylon et moi, et on a empoché un bon paquet !

    Vous assumez le côté uniquement alimentaire du travail ?

    Evidemment ! Quelle autre motivation ? On était les premiers surpris de se faire offrir le job. Honnêtement, le sujet était drôle, on est des professionnels et on nous proposait une belle somme. C’est le même genre de trucs que les Frères Coen avec leur réécriture du scénario du Pont des espions. Ça arrive. Nous, on sortait de notre nomination aux Oscars pour L’Arriviste. Universal nous a demandé d’écrire la dernière version de Mon beau-père et moi. Nous ne sommes pas au générique car nous aurions dû changer davantage la structure du film pour y apparaître. C’est à ce moment-là que la Universal, qui s’apprêtait à tourner Jurassic Park 3 six semaines plus tard, s’est trouvée en galère de scénario. On nous a donc donné quatre semaines pour le remanier, en gardant les décors qui avaient déjà été construits. Il n’y avait pas de problème avec les dinosaures, mais avec les humains.

    Vous n’avez pas d’affinité particulière avec le genre, du coup ?

    Non, et même, je n’aime pas tant que ça la science-fiction ! Ni ne la déteste. Mais je ne cours pas après la SF comme un geek.Downsizing, ce n’est même pas tellement un film de science-fiction. C’est un point de départ.

    On retrouve dans ce film un autre motif récurrent chez vous, celui du road-trip.

    Oui, c’est décevant, mais c’est encore un road-trip ! (Rires)

    Ça n’a rien de décevant : c’est un voyage littéral et symbolique.

    Merci de le dire ! (Rires) Vous avez vu juste.

    De L’Arriviste à Nebraska en passant par Monsieur Schmidt, Sideways et The Descendants, vos films ont été abondamment salués aux cours de nombreuses remises de prix. Les Golden Globes, les Oscars, Cannes… quel a été votre plus grand accomplissement ?

    Pourquoi comparer ? Je me suis toujours bien amusé aux remises de prix et je ne les ai jamais pris trop au sérieux. Mais j’admets que c’est si difficile de faire des films que je suis touché de capter un peu d’attention. Ça aide pour la suite. Pourtant, comme tout le monde, je vois parfois des films que je n’ai pas aimés gagner des prix et je me demande à quoi pensent les gens qui les décernent  Pour être clair : l’Oscar est le prix dont tout le monde parle. A chaque fois qu’on me présente, on rappelle que j’en ai gagné deux. Vu de l’extérieur, c’est l'Oscar qui fait toute la différence.

    Je ne pourrais jamais travailler comme Hitchcock : "J’ai déjà pensé à tout. Allez, on tourne !"

    Certains de vos plans semblent raconter toute l’Amérique moderne en une seule image, comme l’introduction de Nebraska. La ville au loin, un vieil homme qui marche le long de l’autoroute… Où trouvez-vous l’inspiration ?

    Pour ce plan-là, il y avait un gros camion qui traversait le cadre. Je ne me souviens plus si on l’avait loué ou si on avait simplement attendu qu’il en passe un. Je crois qu’on a demandé à Bruce Dern d’attendre qu’un gros camion arrive. Dans le fond, il y a une raffinerie avec des cheminées qui fument. C’est à la sortie de la ville de Billings, dans le Montana, qu’on a trouvé cette bretelle d’autoroute… Je ne sais pas comment ça me vient, mais ce sont des endroits que je trouve moi-même. Je passe beaucoup de temps en repérages. Nebraska, même si c’est un film à petit budget pour un long métrage américain, tout simple, avec de très longs plans… Je crois avoir passé deux ans à trouver tous les endroits où je voulais tourner. Parfois je partais deux jours, ou quelques semaines, ou des mois entiers au volant de ma voiture dans les environs pour trouver les paysages que je cherchais, en prenant des photos. Je ne suis pas un très bon photographe, alors je prenais parfois des notes.

    Diaphana Distribution

    Cette passion pour l’environnement dans lequel évoluent vos personnages vous a été inspirée par d’autres cinéastes ?

    Ce que j’aime, c’est filmer l’homme dans son environnement naturel. Je suis un vrai fan d’Anthony Mann, par exemple. De William Wyler aussi, mais Mann tournait en extérieur, alors que Wyler faisait plus de studio. Avec Anthony Mann, on se sent toujours proche de l’individu et du contexte dans lequel il évolue. Si vous regardez Romance Inachevée, par exemple – quelle idée… – vous verrez que même dans ce petit film, on retrouve les mêmes éléments que dans ses plus grands westerns et films noirs. On retrouve James Stewart interagissant avec son univers. Je partage ce besoin. J’ai une intention documentaire, même dans mes fictions. On se promène dans mes films : on a les éléments dont on a besoin pour suivre l’histoire et des informations sur le contexte en plus. Il y a des choses qu’on ne peut pas écrire dans un scénario avant de les découvrir dans le film. Je ne pourrais jamais travailler comme Hitchcock : "J’ai déjà pensé à tout. Allez, on tourne !". Non, merde ! Le scénario est juste une excuse pour explorer le monde ! C’est ça qui m’intéresse.

    Votre premier film, Citizen Ruth, se termine par une jeune femme qui fuit le Nebraska avec de l’argent. Votre précédent film commence par un vieil homme qui va chercher de l’argent dans le Nebraska…

    Et les deux sont des Dern !

    Père et fille, ou plutôt fille et père, en effet.  C’est un cycle ?

    Je ne m’en étais jamais rendu compte ! Je suis trop affairé et je ne vois pas ces choses-là. En même temps, c’est votre travail de les repérer pour moi. Merci ! Je crois quand même que, si cycle il y a, il se termine maintenant, après Downsizing. Je ne le vois pas comme un nouveau film, mais comme un résumé de tous les thèmes sur lesquels nous avons travaillé avec Jim, pendant toutes ces années. On les regarde à la loupe, à une échelle plus grande. Un type qui perd son identité et qui se rend compte que ses véritables aspirations ne collent pas avec la réalité des choses, avec l'angoisse de sa propre mortalité, etc. Mais pour mon prochain film, je ferai vraiment quelque chose d'autre, mais je ne sais pas où chercher. Vous avez des idées pour un remake ou un livre à adapter ?

    Découvrez la bande annonce de Downsizing d'Alexander Payne

     

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