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    Cannes 2018 - Plaire, aimer et courir vite : "Il y a un peu de Christophe Honoré dans les deux personnages" joués par Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps

    Son retour à la Compétition cannoise, c'est en compagnie de Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps que Christophe Honoré l'a effectué. Deux acteurs, nouveaux dans son cinéma, qui évoquent ce "Plaire, aimer et courir vite".

    D'un côté : un "breton bizarre" étudiant en cinéma. De l'autre : un écrivain parisien dont les jours sont comptés. Pour cette histoire d'amour située dans les années 90, Christophe Honoré a fait appel à deux novices de son univers, Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps, qui font leurs premiers pas dans le cinéma du réalisateur. Et c'est sur la Croisette qu'ils sont venus présenter ce Plaire, aimer et courir vite sélectionné en Compétition.

    AlloCiné : Il s'agit, pour chacun, de votre première collaboration avec Christophe Honoré. Savez-vous ce qui l'a séduit chez vous pour qu'il ait envie de vous confier ces rôles ?

    Pierre Deladonchamps :  (à Vincent Lacoste) Là je peux parler pour toi si veux, car Christophe l'a dit l'autre jour. C'est dans Jacky au royaume des filles qu'il a vu chez Vincent une épaisseur qu'il avait moins vue auparavant, et il a trouvé qu'il avait une virilité pas aussi ostentatoire que chez d'autres acteurs. Ça lui plaisait qu'elle soit comme en mouvement comme ça. J'ai trouvé super beau qu'il dise ça.

    Vincent Lacoste : Ouais, que je ne représentais pas spécialement la virilité. Je ne sais pas comment il faut le prendre (rires)

    Pierre Deladonchamps : Non, mais il y a dix milles formes de virilité. Mais celle-ci est peut-être plus rare aux yeux de Christophe, et je ne suis pas loin d'être d'accord avec lui. Et pour moi je ne sais pas trop s'il s'est basé sur des films précis, mais on se connaissait et il ne savait pas trop que j'avais vraiment le désir de travailler avec lui un jour. Et apparemment c'était réciproque, mais il attendait le bon projet, et j'ai vraiment l'impression qu'on s'est bien trouvés tous les trois sur celui-là.

    De la même façon qu'il avait une image différente de Vincent avant "Jacky au royaume des filles", voyiez-vous Christophe Honoré et son cinéma autrement avant de participer à ce film ? Et ce regard a-t-il changé ?

    Vincent Lacoste : Changé non. Confirmé plutôt, car j'étais assez fan de son travail et faire ce film n'a fait que le confirmer. C'est quelqu'un de génial et j'adorais La Belle personne ou Les Chansons d'amour, que j'ai vus il y a longtemps.

    Pierre Deladonchamps : Métamorphoses est sublime aussi.

    Vincent Lacoste : J'étais donc assez fan de son travail, et j'avais très envie de tourner avec lui donc j'étais hyper content quand il m'a appelé. Et le tournage s'est tellement bien passé entre nous que ça n'a fait que confirmer le fait que j'ai envie de faire des films avec lui.

    Pierre Deladonchamps : Moi c'est même au-delà. J'ai bien évidemment trouvé le scénario très beau. Je l'ai lu et aimé, mais c'est la façon dont Christophe transforme l'essai dans chaque scène. On arrive sur le plateau et il a dix milles idées. Ou plutôt non : juste une seule qui valorise énormément la scène. Il est là où on ne l'attendait pas et c'est du pain béni pour nous parce qu'on est très nourris par tout ce qu'il apporte en termes de mise en scène et de direction d'acteurs. Mais sans être ostentatoire avec des plans alambiqués juste pour faire un truc génial. C'est juste beau et sobre. Et c'est aussi pour ça que j'aime son cinéma.

    Christophe Honoré ne fait pas des films pour le public. Il le fait parce qu'il a des choses à dire

    C'est pour cela qu'il faut un peu de recul pour pouvoir parler du film, car son émotion peut demander du temps pour mûrir.

    Pierre Deladonchamps : Oui car on est pris dans cette histoire en apparence légère, avec beaucoup d'autodérision de la part des personnages, qui ont toujours l'air de désamorcer les choses. Et puis en fait, paf ! Mais c'est ce que j'aime dans son cinéma : je ne pense pas que ce soit un homme qui fait des films pour le public. Il le fait parce qu'il a des choses à dire. Et quand on fait partie de son public, on en a pour son argent. Sa façon d'amener la dramaturgie est hyper originale et elle vous saisit. J'espère qu'il en sera de même avec Plaire, aimer et courir vite.

    Il parle aussi de la façon dont les malades du SIDA étaient traités à l'époque et mentionne ACT'UP, comme "120 battements par minute" dont il pourrait être un pendant plus intimiste. Jugez-vous que les deux films sont complémentaires et, dans ce sens, que celui-ci est politique ?

    Pierre Deladonchamps : Je considère que tous les films que j'ai faits, ou presque, ont un aspect politique. En tout cas ceux que j'ai ressentis comme nécessaires. Faire du cinéma, c'est faire de la politique à son petit niveau. C'est pas forcément se faire élire et voter des lois. C'est juste dire qu'on est heureux de pouvoir parler de ce sujet-là par le prisme de la fiction, donc de l'art. C'est aussi nécessaire dans une société, l'art, pour décanter les choses.

    Comme Christophe le dit, il était peut-être trop tôt pour parler du SIDA avant l'époque actuelle, car il a aussi fallu digérer tout cela. C'est comme si l'on faisait trop tôt un film sur les attentats, il y aurait quelque chose d'un peu trop frais. Mais on nous parle pas mal de 120 battements par minute et ça n'est effectivement pas le même film.

    Vincent Lacoste : Non, mais dire qu'ils sont complémentaires me paraît assez juste. 120 battements par minute est plus sur l'engagement, sur ACT'UP, alors que celui-ci se passe à la même période, avec la même problématique du SIDA, mais focalisé sur un point de vue entièrement différent.

    Pierre Deladonchamps : Et le film est, dans ce cas, complémentaire de Philadelphia, des Nuits fauves.… Ces films qui abordent le SIDA dans le milieu homosexuel au cours des années 90.

    Les Films Pelléas

    "Plaire, aimer et courir vite" se déroule d'ailleurs l'année de sortie de "Philadelphia" et des "Nuits fauves", ce qui n'est sans doute pas anodin. Et comme "120 battements par minute", il fonctionne comme un rappel pour les générations actuelles, afin qu'ils n'oublient pas que le SIDA n'a pas disparu.

    Vincent Lacoste : Bien sûr. Mais je pense qu'il voulait aussi raconter une époque Christophe. C'est pour cela qu'il y a autant d'œuvres d'art, des bouquins de Koltès ou Guibert en arrière-plan, des affiches de films et de pièces de théâtre.

    Pierre Delandonchamps : Ils voient aussi La Leçon de piano ensemble au cinéma. Il y a vraiment tout un univers qui est rare au cinéma.

    Vincent Lacoste : Et ça lui tenait vachement à cœur. Toutes ces musiques qui sont sorties à cette époque. Il avait vraiment envie de filmer cette période et de raconter une histoire dans ce contexte. Et je pense qu'il aurait été impossible de le faire dans un autre contexte, car c'est à ce moment que beaucoup d'écrivains homosexuels étaient décimés par le SIDA : Guibert, Koltès, Lagarce… Jacques Demy aussi. Et le personnage de Jacques est inspiré de ces figures.

    Pierre Deladonchamps : De l'auteur italien qui s'appelait lui-même Tondelli [comme le personnage qu'il incarne dans le film, ndlr]. Je voudrais aussi rajouter quelque chose que je trouve très beau : Christophe le considère comme un film personnel dans la mesure où, arrivé autour de la cinquantaine, il a eu besoin de parler de sa jeunesse. Et de toute cette période où il était rennais, jeune étudiant, plein d'ambitions et avec l'envie de monter à la capitale, de faire des films et d'écrire. Je trouve ça très touchant pour nous d'interpréter, et Arthur, et Jacques, deux facettes de sa personnalité, qui ne sont pas totalement lui, pas totalement un autre, mais ont des relents autobiographiques.

    Je trouve ça très touchant pour nous d'interpréter deux facettes de sa personnalité

    On sent en effet que Christophe Honoré est à la fois ce breton bizarre qui veut faire du cinéma, et cet écrivain qui a travaillé sur des pièces de théâtre.

    Pierre Deladonchamps : Il y a un peu de Christophe dans les deux personnages. Mais plus dans le personnage d'Arthur, je pense, dans la mesure où à travers moi, il a voulu rendre hommage à tous ces auteurs qu'il a vraiment aimés et aurait aimé rencontrer. Il s'est senti très abandonné de ne pas pouvoir les connaître de leur vivant et lire le prochain Lagarce, le prochain Guibert, car c'était fini. Il ne pouvait qu'aller dans le passé. C'est aussi la vision d'Arthur.

    Vincent Lacoste : C'est ça car la vision d'Arthur est celle qu'il avait à cette époque. C'est en ça que mon personnage est un alter ego, car Christophe a fait ses études à Rennes, il était breton et c'était un fan de tous ces écrivains. Il a même été sur leur tombe dès qu'il est arrivé à Paris, que ce soit celle de Koltès ou même de Truffaut. Il y a un côté très personnel dans tout ça.

    Et c'est aussi pour ça qu'il explique avoir été comme Arthur face à "La Leçon de piano", et qu'il l'adore depuis comme Jacques, comme dans la scène de leur rencontre au cinéma.

    Pierre Deladonchamps : J'adore cette scène. Et on a adoré la tourner, dans une salle de cinéma et faire semblant de regarder un film. Et c'est là que le récit décolle car, après avoir campé les deux personnages et les avoir montrés dans leur vie et leur univers, la recontre se cristallise et le récit va ailleurs.

    Vincent Lacoste : Et le film raconte l'histoire d'amour…

    Pierre Delandonchamps : Ou la non-histoire d'amour.

    Vincent Lacoste : Oui, et c'est cette rencontre qui fait la beauté du film.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 10 mai 2018

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