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    Qui chante là-bas ? C’est quoi ce film culte en ex-Yougoslavie et méconnu chez nous ?
    Octavie Delaunay
    Octavie Delaunay
    -Chargée de la BDD
    A la recherche permanente de souvenirs irrattrapables, son intérêt pour l’histoire et le cinéma l’a conduit à faire des études poussées dans ces deux domaines et à travailler dans le secteur culturel. Elle est journaliste / rédactrice affiliée à la base de données d’AlloCiné depuis 2018.

    Depuis hier, le film yougoslave Qui chante là-bas ? de Slobodan Sijan, réalisé en 1980, est disponible dans les salles obscures, distribué par Malavida. Le film fait partie de la sélection Cannes Classic de 2020.

    DE QUOI ÇA PARLE ?

    Yougoslavie, 5 avril 1941. Une faune rocambolesque - un apprenti chanteur, un tuberculeux, un chasseur, un notable, un ancien combattant, deux musiciens tsiganes… - attendent l’arrivée d’un car brinquebalant qui doit les emmener à Belgrade. Menée par un chauffeur benêt et un contrôleur totalement irascible, la petite troupe s’embarque dans un voyage loufoque accueillant au passage un couple de jeunes mariés. Mais rien ne se passe vraiment comme prévu…

    Qui chante là-bas?
    Qui chante là-bas?
    Sortie : 13 janvier 1981 | 1h 26min
    De Slobodan Sijan
    Avec Pavle Vuisic, Dragan Nikolic, Danilo Stojkovic
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    4,0
    Qui chante là-bas?
    Qui chante là-bas?
    Sortie : 13 janvier 1981 | 1h 26min
    De Slobodan Sijan
    Avec Pavle Vuisic, Dragan Nikolic, Danilo Stojkovic
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    4,0

    " UNE TRAGEDIE GROSTESQUE " - SLOBODAN SIJAN

    La cinématographie yougoslave demeure assez mal connue, d’autant plus que le pays n’existe plus. Quelques metteurs en scène ressortent du lot grâce à des distinctions dans les festivals internationaux, comme Aleksandar Petrović (J'ai même rencontré des tziganes heureux), Živojin Pavlović (Le Réveil des rats), Dušan Makavejev (Wilhelm Reich ou les Mystères de l'organisme), Želimir Žilnik (Travaux précoces) – tous issus de la "Vague Noire", l’équivalent de la Nouvelle Vague française.

    Dans les années 1980, il y a eu le Groupe de Prague (ils ont fait leurs études dans cette ville) : Goran Markovic (Tito et moi), Goran Paskaljević (The Dog Who Loved Trains, Baril de poudre) et le plus connu d’entre tous, Emir Kusturica, auréolé de deux Palmes d’Or pour Papa est en voyage d'affaires et Underground. Ce dernier cite volontiers Qui chante là-bas ? de Slobodan Sijan parmi ses films de référence.

    Depuis hier, le distributeur Malavida rend possible la (re)découverte du film depuis son exploitation dans les salles obscures françaises en 1981.

    Le road trip tragi-comique du serbe Slobodan Sijan est sorti en 1980, la même année que la mort du maréchal Tito. Le long métrage prend place à la veille de l’Opération Châtiment où la Yougoslavie se voit envahie par les troupes d’Adolf Hitler, aidé par l’Etat (fantoche) indépendant de Croatie, dirigé par le mouvement fasciste Oustachi.

    Des groupes de résistants (en majorité des serbes) se mettront en place pour lutter contre l’ennemi. Ces rappels historiques sont importants et permettent de mieux appréhender le long métrage de Sijan, qui, tristement prémonitoire, anticipe le démantèlement du pays de façon sanglante dans les années 1990, résultat d'une rancœur de près de 40 ans aux lourdes conséquences humaines.

    A l’image des films comiques culte français comme La Grande vadrouille de Gérard Oury ou Papy fait la résistance de Jean-Marie Poiré, Sijan rejoue les heures sombres de l’histoire de la Yougoslavie, plus de deux décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, car le temps a permis de digérer et de panser le conflit.

    Cette comparaison n’est pas un hasard car Qui chante là-bas ? est l’équivalent en termes de popularité, dans les républiques de l’ex-Yougoslavie, de La Grande vadrouille chez nous. C'est le film le plus connu, repris et parodié dans la culture populaire serbe. Un ballet a même été monté à partir du film en 2004 au théâtre National de Belgrade. Mais, et c’est là la puissance du film, Sijan y apporte la mélancolie, caractéristique des peuples slaves.

    Quand, en France, les comédies représentent l’Histoire en jouant sur les malentendus et les grimaces pour n’aborder qu’à demi-mot ce qu’il y a eu de plus terrible dans la guerre de 39-45 (la collaboration et la déportation), le réalisateur serbe part d’une comédie naturaliste avec des gimmicks sonores appuyés et des représentations grotesques des personnages pour tenir un discours qui va être de plus en plus limpide contre le IIIème Reich au fil du récit.

    Malavida

    Deux éléments en sont les parfaits exemples. Premièrement, une scène de clair-obscur digne d’un tableau du Caravage où l’acteur, Aleksandar Berček, confère à son personnage d’imbécile heureux, Mischko, une candeur patriotique jusqu’au-boutiste, malaisante pour le spectateur.

    D’autre part, le metteur en scène utilise des intermèdes musicaux chantés par deux tsiganes pour littéralement conter l’Histoire. Ces entractes servent à chapitrer le long métrage et retracer le contexte socio-historique de 1941 avec clairvoyance et lucidité.

    "Si ce n’était qu’un rêve", le leitmotiv déchirant du chanteur Rom parcourt tout le film et met l’accent sur la différence entre le cinéma et le réel, l’art du faux face à la froide réalité.

    Découvrir Qui chante là-bas ? 41 ans après sa création rend difficile de ne pas y voir une œuvre profondément antimilitariste. Le réalisateur décrit d’ailleurs son film comme une "tragédie grotesque" qui s’oppose aux comédies "bon enfant" made in France citées plus haut.

    Lors de la Seconde Guerre mondiale, les serbes, juifs et tsiganes ont été victimes d’un génocide dont la rancœur ressurgira dans les années 1990, quand le rapport de force s’est inversé et a été favorable aux serbes.

    A posteriori, le film de Sijan démontre que l’Histoire est un terrible boomerang. Le décès de Tito - qui tenait d’une main de fer l’unité du pays - annonce son lent délitement et les Guerres de Yougoslavie des années 1990. L’Histoire ne fait que revenir à son point de départ : la guerre fratricide entre les croates et les serbes, entre les Oustachis des années 1940 et les Tchetniks des années 1990.

    Mais dans l’absurdité des guerres, ce sont les civils et les groupes « bouc-émissaires » qui paient toujours le plus lourd tribut, et ce, dans n’importe quel camp.

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