Lorsque Alain Resnais, enfant de la nouvelle vague qui comme Truffaut, Godard, Chabrol et compagnie qui a su se démarquer rapidement, réalise en 1959 son premier film « Hiroshima mon amour », s’en suit alors une critique où Truffaut n’hésite pas à le comparer à Renoir, le grand maître des metteurs en scène de la nouvelle vague, et ainsi à lui témoigner toute son admiration. Finalement aujourd’hui, dans la fin de sa carrière on peut constater que sa manière de faire des films a changé. « Les herbes folles » est un film surprenant aux premiers abords (adapté d’un roman contestable et pataugeant), difficile à pénétrer contrairement à « Hiroshima mon amour » dont la beauté des plans et le rythme donnaient une grande ampleur au film dès ses premières minutes. Le titre lui même le dit, dans ce film on ne s’intéressera aux désastres de la seconde guerre mondiale, mais simplement aux herbes folles qui poussent un peu partout et tous les sens. C’est donc la banalité qui interessera Resnais pour ce film « Les herbes folles ». Alors résultat ? une oeuvre tout à fait pertinente qui témoigne d’un ensemble réjouissant et tout à fait original.
Resnais, qui considère les ouvertures de ses films comme d’une importance primordiale :commence, tout d’abord, par montrer un caractère de la banalité : les pieds, et ainsi par l’intermédiaire de ces pieds arriver à une intrigue : une ouverture particulièrement originale et aboutie. Cette simple histoire d’un homme qui retrouve le porte feuille d’une femme, qui la contacte et ainsi entraîne des péripéties n’a rien d’extraordinaire et même rien d’intéressant. Comme le disait Claude Chabrol, cela ne sert à rien qu’une femme qui fait la vaisselle chez elle, parte voir un film où les personnages font la vaisselle. Mais c’est justement la manière dont Resnais va adapter la banalité, va la transformer qui fera des « herbes folles » un film particulièrement marquant.
Pour transformer le quotidien, Resnais va user de plusieurs éléments : tout d’abord une photographie colorée, légérement teinte en jaune (qui peut néamoins s’avérer de trop), mais également un jeu sur l’accentuation des couleurs qui là est très réussi. Il va ensuite équiper ses personnages de personnalités atypiques, Mathieu Almaric parfait en policier lunatique, André Dussolier excellent dans son rôle assez complexe, Sabine Azema convainquante… Ces personnalités, dont celle de Dussolier, sont très bien travaillés et donne une bonne partie de son intérêt au film. L’oeuvre sera également équipée d’une voix off rendant l’histoire encore plus fantaisiste (en donnant l’illusion d’une fable ou d’un conte). Il va également proposer deux fins alternatives, une heureuse et une autre où il suggère le tragique (Peut être une référence à « Huit et demi » de Fellini). Ces fins alternatives sont tout à fait en accord avec le film où Resnais ne cesse de mélanger le comique et le tragique. Là dessus le film est une réussite, Resnais comprend parfaitement la phrase de Renoir « ce qui fait l’artiste n’est pas l’histoire qu’il raconte mais la manière dont il l’a raconte ». Il raconte donc la banalité à la manière d’un conte fantaisiste, presque absurde.
Resnais entre alors dans l’approfondissement du roman :Au delà d’une volonté de filmer simplement la banalité, il y a une volonté de comprendre, en quelques sortes le sens secret de tous les faits et gestes des personnages. Pourquoi insiste-t-il? Pourquoi est elle soudainement fascinée par lui? Et bien d’autres interrogations. C’est finalement un final assez absurde qui vient conclure le film, Marguerite observe la braguette ouverte de Georges et ne surveille plus les mouvements de l’avion : la fascination dépasse tout le reste, la mort n’est plus importante : des forces supérieures existent entre les personnages.
Finalement cette approfondissement donne sa grande force aux « Herbes folles » qui est de pouvoir cacher derrière un ensemble fantaisiste et amusant ses très nombreux fiscellages et son désir permanent de donner un sens à la vie (donner une signification de la vie en lui ôtant son sens : curieuse mais habile façon d’agir.)
Beaucoup moins tape à l’oeil que « Hiroshima mon amour », « Les herbes folles » résonne étonnement comme la conquête d’une certaine maturité de Resnais, une certaine compréhension de la vie noyée autour d’interrogations (le film se termine par une question assez étonnante « Maman quand je serai un chat, est-ce que je pourrais manger des croquettes). L’ensemble est donc très interessant et mérite d’être analysé.