Un film sur l'image, ça fait peut être bon public de dire ça, mais ça a quand même pas mal de chance de m'accrocher au moins au départ. Mais quand c'est fait avec une telle précision et une telle ampleur à la fois, c'est d'un bout à l'autre que j'accroche.
Antonioni est un véritable artiste en ce qu'il aime l'Art avec un grand A. Si dans l'Avventura, c'est son coté peintre des sentiments, du vide et du temps qui ressortait, ici il s'attaque à la photographie. Mais pas à la photographie comme instantané figeant la réalité, plutôt à la photographie qui dessine la réalité, qui la marque. La grande expérience du personnage principal, c'est ça, comprendre qu'un panoramique d'un parc et un zoom sur une main dépassant d'un buisson, ce n'est pas la même chose. L'un est effectivement spatialement inclus dans l'autre mais n'a de réalité significative que dans le deuxieme cas.
Antonioni met ainsi le doigt sur ce que la photographie a selon moi livré de meilleur au cinéma, à savoir le pouvoir du cadrage et de la distance par rapport aux choses qui est par elle même signification. De ce point de vue là, ça m'a pas mal fait penser à Nathalie Granger de Duras où le travail du cadre est aussi fantastique.
Une fois lancé sur la piste de reflexion de l'échelle des choses, Blow up va même beaucoup plus loin avec cette réplique d'une des scènes finales : "On dirait la peinture de ...", à savoir de l'art abstrait en particulier une toile composée uniquement de nombreux points de couleur dans tous les sens. Ramené à l'extreme, une photographie n'est elle même qu'un assemblement de taches de couleur imprimées sur la pellicule, de la même manière que mes élucubrations de cette seconde ne sont au fond rien d'autre qu'une série de pixels voire de 1 et de 0.
Pour ce qui est d'admirer la photographie du film, je pense pas être original en disant que c'est très beau mais surtout très précis. L'avventura est sensuellement et presque extatiquement beau, ici c'est différent. Les figures géométriques présentes dans quasiment tous les plans - Spoiler : les triangles de la piece dans la discussion avec la femme ; les longues courbes du parc lorsqu'il monte les escaliers, les angles droits lors des scènes de voiture, etc... - . Toute cette beauté et cette perfection dans la régularité ne semblent pourtant là que pour nous ramener à cette idée que la photographe, vivant par son appareil impacte sa propre perception de la réalité pour la ramener à la dimension d'un objet, un objet qui soit assimilable en tant qu'objet par un appareil mécanique tel que l'appareil photo.
C'est là tout l'enjeu visible du film d'Antonioni. Qu'il y ait eu ou non véritablement un meurtre, nous ne le saurons jamais et si l'on peut avoir par moment la sensation que le film peut tourner au polar, ça n'a au fond pas d'importance.L'important, c'est que le doute s'installe. Si la réalité n'est pas ce qu'elle semble être. Au fond, c'est nous qui décidons de ce que nous voyons ou pas dans un mouvement et ça ça remonte aux origines de la reflexion sur le cinéma. Est ce q'une image couplée à une autre image couplée encore à une autre nous permettent de reconstituer la réalité d'un mouvement et d'une action. Rien n'est moins sur alors que cela parait pourtant évident. Toute l'illusion cinématographique est là. En ce sens, l'ampleur du propos d'Antonioni le ramene au frontiere de son propre art, le cinéma. Est-ce que le cinéma, c'est 24 fois la réalité par seconde ou bien est ce que ce n'est qu'une juxtaposition d'images à laquelle nous donnons nous même le sens qu'il nous plait. Le cinéaste italien nous répond clairement par cette derniere scène dans le jardin, lorsqu'il va ramasser cette balle imaginaire et entend en hors-champ le bruit de vrais raquettes.
Je crois que c'est une des reflexions les plus profondes sur l'image qu'il m'ait été donné de voir jusqu'ici. Comment quelqu'un peut en arriver à être possédé à un tel point par sa vision photographique des choses pour n'entrevoir la réalité parfois qu'entre deux prises, - Spoiler : comme lorsqu'il voit son amie en train de faire l'amour avec le peintre, son visage n'apparait qu'entre deux battants, deux morceaux de mur, il est dans une faille; une autre faille semblant être la scène avec Jane Birkin et sa copine dans son salon - . Quelquepart, ces deux scènes sont peut être aussi une idée de ce que l'on peut perdre dans une vision trop étriquée et trop "cadrée" de l'Art et de la vie, à savoir à la fois l'amour profond et l'amusement simple. Dans le premier shoot de début avec sa "femme", l'appareil photo sert presque de symbole de virilité mais tout cela sonne terriblement faux, tout comme les costumes des 5 mannequins quelques minutes plus tard, c'est se dissimuler derriere les mêmes écrans que d'y voir un soupçon de réalité et de joie.