Au-delà de la composition fiévreuse et bouleversante d’Al Pacino (peut-être son plus grand rôle, tour à tour clown et tragédien, pathétique et magnifiquement dérisoire), au-delà de la justesse de la reconstitution d’un New-York rongé par la déshérence sociale et d’un pays foncièrement divisé par les inégalités, au-delà de la stupéfiante radioscopie d’une prise d’otages qui tourne mal sans pour autant jouer la carte du sensationnalisme ni du pittoresque, la force du film est d’avoir su conférer à ce fait divers une manière de lyrisme secret, parfaitement dépourvu de tout romantisme social. On le retrouve tout particulièrement dans la réaction des employés de banque, ces « américaines moyennes » embarquées de force dans une aventure qui déclenchent chez elles une sorte de mécanisme libérateur, les amenant à échapper enfin à la tyrannie de la normalité et d’accéder à un univers d’extravagance et de liberté ébouriffant. Sentiment qui nait de la solidarité qui se dessine avec les braqueurs, chacun se reconnaissant dans la situation d’asservissement social de l’autre. Cette révolte incongrue marque le film de toute sa force politique sans jamais tomber dans le pamphlet (les braqueurs ne sont aucunement des porte-drapeaux et ne sont pas idéalisés). Le traitement de la différence, qu’elle soit sociale ou sexuelle, est traitée ici avec un tel naturel (pas de discours pro-homo affiché), qu’il acquiert plus de pertinence et d’impact que n’importe quel film « engagé ». Cette capacité de nuance et de complexité dans le traitement des personnage est des enjeux sociaux, cette virulence politique latente, mais aussi l’incroyable humanité de ses personnages, la dimension tragique de cette fable dérisoire, la tension dramatique permanente que Lumet parvient à maintenir et enfin l’incarnation fiévreuse des ses comédiens, font de cet « Après-midi de chien » l’un des films les plus importants des années 70, le chef d’œuvre de son auteur et la preuve que le cinéma peut à la fois élever et divertir. Et lorsqu’Al Pacino se retrouve plaqué par la police, broyé par sa charrue, ce n’est pas la victoire des honnête citoyen qu’on célèbre, c’est une sorte de réveil désenchanté qu’on subit, dégrisé : c’est le triste retour à la raison, à la peur d’une société aliénante.